La Sainte Famille

"On ne guérit jamais de son enfance"

La Sainte Famille

Résumé

Suzanne et Thomas passent chaque été dans une maison qui est comme une présence, une maison aux portes closes.
Derrière l’une de ces portes, leur arrière-grand-mère agonise. Parmi les adultes qui les entourent, une mère follement autoritaire, un oncle veule et un maître d’école sadique dessinent les figures d’une inquiétante toute-puissance. Seule Odette, qui est presque une simple d’esprit, se préoccupe des enfants. Et puis il y a Mathilde, la cousine tyrannique, qui ment tout le temps et, pourtant, dit la vérité. Obsédée par le blasphème, Suzanne imagine que le Mal s’insinue, se développe, se transmet comme par contagion. Bien des années, plus tard, elle revisite ce passé, comme s’il recelait un secret encore à découvrir.

 

Mon avis

Il s’agit d’un roman très particulier car l’auteure nous entraîne dans des souvenirs de jeunesse à travers des tableaux disparates, sans ordre chronologique, dans un va-et-vient entre la petite enfance, l’adolescence et l’âge adulte.
Une série de souvenirs émergent et sont décrits d’une façon très « impressionniste », l’essentiel étant de mettre l’accent sur la perception d’événements familiaux par deux enfants, Suzanne et Thomas, qui en sont les principaux narrateurs.
La « Sainte Famille » est en réalité une antiphrase car on est bien loin de l’image chrétienne. Là, c’est plutôt : un père absent, une mère autoritaire et un divorce, une Trinité d’un autre genre…
Et pourtant, la famille est catholique pratiquante, empreinte d’une morale rigoriste. On ne plaisante pas, mais pire encore, on garde le silence, on ne se confie pas. L’atmosphère glaciale de la famille renvoie chaque enfant à son sort et sa solitude.
Chaque été, Suzanne et Thomas sont envoyés dans une vaste demeure familiale occupée par la grand-mère, Marthe, et une grand-tante, Odette. Malgré les promesses chaleureuses de complicité de Marthe envers les enfants, ceux-ci s’aperçoivent très vite qu’il s’agit de coquilles vides, de promesses en l’air et sans vie. Un ennui profond va les gagner. Marthe, confite en dévotion , n’apporte rien d’autre aux enfants qu’indifférence et crainte.
Par contre, Odette adore ses neveux Suzanne et Thomas. Elle n’a jamais eu d’enfants et pourrait sans retenue porter de l’amour à ces deux-là. Mais elle a peur de tout, paralysée à l’idée d’être regardée. Elle est timide, embarrassée pour un rien. Donc, elle leur parle peu et ne leur sourit guère. Elle voudrait bien les câliner mais n’ose pas. Elle est complètement bloquée.
Un autre personnage inquiétant fait son apparition, l’oncle des enfants : célibataire, alcoolique et violent, il tient des propos obscènes, notamment à Suzanne. La présence des enfants le dérange. Il s’en plaint à Marthe, sa mère, en pleurnichant dans son gilet. Genre d’adulte à sa maman.
Bref, l’atmosphère n’est pas à l’euphorie, et elle n’est pas des plus saines. Alors naissent les peurs, les fantômes chez les enfants que rien ni personne ne réconforte ni ne réchauffe. Ils échafaudent des plans pour échapper à la surveillance des « cerbères », manquer à tout prix la messe du dimanche où l’ennui sans fond finit par tourner la tête de Suzanne vers le blasphème, des mots pensés très injurieux pendant la messe. Une révolte sourde, contenue jusqu’à un certain point.
Le roman montre des enfants qui absorbent tout comme des éponges, incapables de remettre en cause les gestes et paroles des adultes. La violence transmise depuis des générations leur arrive en pleine figure sans qu’ils puissent réagir. Et comme pour voir comment ça fait, Suzanne prise dans cette atmosphère de dureté se met à gifler son petit frère. Sans cri, ni haine, machinalement, par contagion. Cependant, de courts moments de bonheur surgissent dans ce roman, comme la baignade sensuelle dans le lac, les pieds s’enfonçant dans la vase douce et légère, ou la pêche aux écrevisses, moments vite effacés par le retour à l’ordre établi.
Lors d’une rentrée scolaire, une scène d’une violence inouïe nous est décrite : un maître d’école maltraite avec une froideur inhumaine un pauvre bambin humilié devant toute la classe. Chaque élève rentre en lui-même, effaré par la honte, une honte qui ne sera jamais dite à la maison. Les parents et les instituteurs ont toujours forcément raison.
Florence Seyvos raconte ses souvenirs d’enfance avec son regard d’adulte aiguisé. Son style est très percutant, elle décrit sans ambages, de façon crue une éducation où l’on se moque bien de ce que pensent et ressentent les enfants. Ce sont des êtres inférieurs qui doivent obéir sans discuter, un point c’est tout. « On ne guérit jamais de son enfance » chantait Jean Ferrat, c’est un peu ce que nous suggère ce livre. L’enfant est dépendant des adultes qui sont censés s’occuper de lui, mais il devra construire sa vie comme il pourra, quelle que soit la trajectoire d’origine, bonne ou mauvaise.
Il me semble que tout lecteur pourrait trouver dans la lecture de ce roman l’occasion de se replonger dans sa jeunesse, y reconnaître peut-être quelques aspects de sa vie familiale, scolaire, ou du moins quelque analogie.
« C’était un autre temps », dit Suzanne une fois devenue adulte, comme si elle venait d’un autre pays. Mais est-il possible de gommer ses souvenirs de jeunesse, ou doit-on les porter jusqu’à la fin dans un coin de sa mémoire à jamais…
Un roman fort sur l’enfance, sur les effets très prégnants de l’entourage familial dans les premières années de sa vie.

Partager sur :
Par Jean-Pierre Courtois, le .

Crédits

Florence Seyvos