L’histoire de la Renaissance

Un lieu témoin de la vie ouvrière au XXeme siècle

L'histoire de la Renaissance

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Après avoir découvert la salle de la Renaissance, je souhaitais connaitre l’histoire qui était rattachée à ce lieu, j’ai eu la chance rencontrer Messieurs Prokop et Kielbasa, intarissables à ce sujet.

 

 

La Société Métallurgique de Normandie est née d’un projet industriel qui a engendré une cité ouvrière, cette cité ouvrière a vécu sous l’ère du paternalisme industriel jusque dans les années 70. Un pan important du paternalisme c’est le loisir, c’est à dire que la population ouvrière qu’elle soit jeune ou non, ne doit pas rester oisive. Donc il y avait une grande salle des fêtes qui était derrière la Renaissance actuelle et dans cette salle des fêtes, il y avait des bals et, nous a-t-on dit, mais là il n’y a aucun document qui vienne le valider, un jeu de paume.

C’est assez étonnant  mais ce n’est pas la seule surprise lorsque l’on raconte cette histoire car il y a eu aussi une équipe de hockey sur gazon ici, ce qui n’est pas banal dans le Calvados, qui va en finale de championnat de France. Cela a certainement trait à l’histoire des hommes qui sont venus d’horizons lointains travailler ici, que ce soit de métropole ou d’étranger.

Donc l’origine de la Renaissance, elle est là, elle est dans la volonté de la direction de l’usine de proposer des loisirs autant sportifs que culturels.

Avant la seconde guerre mondiale, car la SMN va commencer à produire en 1917, elle va commencer à construire les premiers baraquements, les premières maisons dans les années 20, puis la Renaissance en 1938/1939. C’est une bâtisse en dure, très imposante, qui est dotée de plusieurs équipements, elle va regrouper un bar qu’elle va gérer elle-même ;  au-dessus de ce bar, une salle de billards avec quatre billards dans un lieu assez solennel, un très beau parquet en bois et une terrasse. Le café a l’originalité d’être un café avec des arcades c’est à dire que l’on peut être à l’extérieur à la belle saison, une innovation assez intéressante dans le Calvados et enfin une salle de spectacles. Cette salle de spectacles est aussi associée à un logement, le logement au premier étage abrite une concierge en charge de gérer l’entretien, la sécurité et l’occupation du lieu notamment la salle des billards.

La salle des billards, on y accède gratuitement pour y pratiquer  le billard français, elle est ouverte à toutes les catégories sociales. C’est surtout un jeu populaire à l’époque, un jeu qui touche surtout la population ouvrière, quelques cadres mais pratiquement pas  d’ingénieurs. Il y a beaucoup de billards à l’époque, on retrouve ça à Paris, Paris est une capitale riche en lieux de billards où peuvent se mélanger différentes catégories sociales. Ce lieu va être polyvalent car il se transformera en lieu d’accueil pour les équipes de football, pour les après match, lorsque le club offre une boisson aux jeunes après les matchs. Elle a aussi la fonction de servir d’accueil pour des apéritifs lors d’évènements à l’initiative de l’usine, des départs en retraite, pots de convivialité, expos photos ponctuelles.

Le bâtiment dans sa forme a la grande originalité de posséder un beffroi, quasiment unique dans le Calvados, l’histoire de ce beffroi nous vient du nord de la France où le pouvoir laïque veut faire concurrence au pouvoir religieux car bien sûr cela ressemble à un clocher. Ici la SMN n’a pas l’intention de montrer le pouvoir laïque opposé au pouvoir religieux car elle va aider à construire une chapelle en plein milieu de la cité sur ses propres fonds. Ce qu’on peut constater, c’est une forme d’ élévation par la culture, une forme de majestuosité donnée au bâtiment par cette forme là qui a aussi un petit côté pratique parce que l’on peut installer dans ses hauteurs un accès à la machinerie, notamment à la salle de cinéma.

La Renaissance va servir de salle de cinéma, elle va servir à recevoir toutes les activités culturelles proposées par l’usine, les concerts de l’Harmonie, le théâtre. Il y avait une troupe de théâtre à la SMN avec des acteurs amateurs encadrés par deux personnages importants aux commandes de la partie culturelle, André Marie qui nous venait de Paris, où il avait suivi une école de théâtre, et Jean Mabire pour la mise en scène. Donc théâtre, musique, arbres de Noël mais aussi le discours annuel du directeur de l’usine à tout le personnel.

Les employés de la Renaissance sont des employés SMN, c’est à dire que mon père qui était à la caisse avait un emploi dans les bureaux, ma mère était ouvreuses. D’autres personnes, qui étaient ouvreuses comme elle, avaient toutes un mari qui travaillait à la SMN, il n’y avait pas de personnes extérieures.

Pour savoir ce qu’il y avait au cinéma, il suffisait de lire le bulletin SMN qui était livré à tous les employés. A noter que dans cette salle, les personnes qui s’en occupaient ont vite été sensibles à l’importance du théâtre populaire puisque Jo Tréhard y a fait des conférences. Il y avait un lien entre la Comédie de Caen de Jo Tréhard et la Renaissance. C’était une très belle salle avec un balcon, des sièges en velours vert et la collaboration pour les spectacles entre les acteurs amateurs coachés par les personnes dont je vous ai parlé, l’école d’apprentissage qui pouvait aider au montage des décors, les services de l’usine, la menuiserie qui pouvait participer aussi aux décors, l’école ménagère qui pouvait coudre les costumes. Tout cela faisait un ensemble très cohérent et homogène pour des spectacles de qualité, par contre très peu de spectacles de chansons, pas de danse.

Ce n’était pas le but affiché de la Renaissance, c’était plus du théâtre et du cinéma. C’était des séances du vendredi au dimanche, il y a une séance le vendredi soir, le samedi après-midi et le samedi soir, le dimanche après-midi, plusieurs séances, on rentabilise l’équipement. Des espaces d’exposition où les peintres de la SMN pouvaient exposer leurs œuvres. Il y avait l’amicale des peintres de la SMN et le club photos, il y a une personne que l’on peut mettre en avant qui est monsieur Musette, un peintre naturaliste un peu dans la veine de monsieur Letellier, qui peignait les marécages normands, les oiseaux, les paysages d’automne et qui était un peu la figure de proue de cette amicale des peintres.

La Renaissance va fonctionner comme ça jusqu’à la fin des beaux jours du paternalisme industriel pour à un moment se séparer de ses œuvres sociales, notamment le cinéma et fermer toute activité culturelle, dans les années 70. Cela va devenir une salle de conférence avec des cloisonnements qui vont nous faire oublier rapidement la grandeur de ce hall d’accueil de la Renaissance avec les photos des films qui étaient affichés.

Un très grand hall d’accueil avec la caisse en plein milieu dans laquelle était enfermé le caissier, un très beau vestiaire en bois et l’accès comme aujourd’hui au parterre et au balcon, le balcon de l’époque était en arrondi.

En ce qui concerne le bar, il fermera aussi, il va rester longtemps  inoccupé pour accueillir à un moment la cantine scolaire. La salle des billards malheureusement va être elle aussi désertée, elle n’aura pas de réaffectement jusqu’à ces dix dernières années. Nous avons vu avec désolation partir les peintures murales, de très belles peintures sur tissu qui représentaient la naissance du billard à la cour de Louis XIV, on avait souhaité qu’elles soit découpées et conservées mais je ne pense pas que cela ait été fait.

Il faut avouer qu’aujourd’hui la salle de répétition de l’Orchestre de Normandie est magnifique, elle ne ressemble plus à la salle des billards dans le sens où le plafond béton a été cassé pour offrir un volume plus important.

On peut vous raconter l’histoire du beffroi qui a été dynamité. Les troupes allemandes vont occuper le plateau et les écoles, le château de la direction pour les officiers. Ce beffroi offre un point de vue intéressant sur les alentours donc les allemands que ce soit ici comme ailleurs vont détruire tout ce qui permet de faire vigie sur les alentours et donc le dynamiter.

Les troupes allemandes étaient ici car une usine qui produit de l’acier est toujours intéressante pour une industrie de guerre. La SMN a produit des munitions pendant la première guerre mondiale, pendant la seconde, son activité est très réduite. Il faut de la matière première, il manque du savoir faire, les ateliers de chaudronnerie vont continuer à fonctionner mais ce qui concerne la filière acier, c’est très réduit. Ce qui est amusant, en tout cas à noter pour nous, c’est que ce projet industriel est allemand à son origine. Cette Renaissance qui a vu le jour avant la seconde guerre mondiale n’était déjà plus allemande puisque Thyssen  avait eu tous ses biens mis sous séquestre en 1917 mais il ne faut pas oublier que l’origine de l’histoire, si la SMN et si le plateau existent, c’est du fait d’un baron allemand.

Mon grand-père est arrivé à la SMN en 1924, il arrive de République Tchèque pour travailler à la SMN. C’est une histoire intéressante que cette histoire de l’émigration, c’est l’histoire de l’Europe. L’histoire de l’Europe nous traverse généreusement au XXeme siècle, que ce soit au travers des guerres, on en a évoqué une, la seconde et un peu la première. Ce qui fait qu’il y a des russes notamment des russes blancs qui viennent ici, on aura des troupes d’occupation allemande avec dans leurs corps des ukrainiens, des cosaques, des lituaniens…, trente quatre nationalités différentes. On a une photo de la première salle de spectacle, j’ai parlé de la salle des fêtes mais je n’ai pas parlé des grands bureaux, c’était l’avant Renaissance, l’étape intermédiaire entre la salle des fêtes et la Renaissance, c’est le dernier étage des grands bureaux qui sert de salle de cinéma mais aussi de salle de concerts et là on trouve au piano un russe, c’est cette partie bourgeoise de la population qui va arriver ici. Elle va être regroupée dans deux camps, camp russe numéro un et camp russe numéro deux et qui va faire qu’une église orthodoxe sera bâtie. Cette salle est pavoisée parce que les grands bureaux accueillent en 1916 un hôpital militaire secondaire pour les blessés de la grande guerre.

On voit bien que dès les débuts de sa fonctionnalité parce que les grands bureaux sont terminés en 1913, on voit bien que dès ces années là, la culture occupe une place prépondérante au sein de l’appareil industriel. On ne se fait pas faute de comparer ce qu’est l’appareil industriel aujourd’hui et les services qu’elle offre à ses employés. Il est vrai que part le biais des comités d’entreprise on peut penser qu’ il y a une démocratie parce que les employés ont droit au chapitre en ce qui concerne les œuvres sociales et culturelles d’une entreprise mais c’est quand même très lié aux bénéfices de l’entreprise alors que là, le patron avait les mains totalement libres de mettre en œuvre ce qu’il avait envie de mettre en œuvre. Il aurait très bien pu ne pas faire de Renaissance, se contenter de laisser les gars jouer au foot.

Ce qui peut paraître un peu paradoxal mais pas tant que cela car si on se réfère à ceux qui ont été les initiateurs, les penseurs du paternalisme industriel, ces personnes le disent dans leurs textes. Le fait d’être ouvrier c’est une étape grâce au paternalisme industriel pour accéder si l’on s’en donne les moyens intellectuels, physiques, à d’autres fonctions, de s’élever. Georges Tanger le dit très clairement et il énonce le caractère important, essentiel d’offrir des œuvres culturelles à sa population ouvrière qui plus elle sera cultivée et ça c’est encore un paradoxe, moins elle sera bêtement obéissante. Mais dans les premiers temps du paternalisme industriel, il y a la volonté de créer un savoir faire transmissible donc plus on aura d’ouvriers qualifiés, intellectuellement, techniquement plus on aura un pouvoir naturel sur ceux qui sont encore en train de se former.

L’école d’apprentissage en est un très bon exemple. L’école d’apprentissage de la SMN qui s’installe dans l’usine dans un premier temps puis à l’extérieur est menée de A jusqu’à Z par des anciens ouvriers. Ce sont tous des anciens ouvriers contremaitres qui sont profs de cette école technique et qui font régner un ordre, une discipline, une transmission des savoirs qui leur a été inculquée par le patronnât. Aujourd’hui, le seul axe industriel c’est la finance.

Si on se reporte à ces années SMN, le patron avait vraiment une vision humaniste, avec bien sûr une arrière pensée productiviste pour créer de la richesse.

Si on regardait le petit secteur où nous sommes vu d’avion, on se rendrait compte que la Renaissance est installée juste à côté de la bibliothèque, là nous sommes dans l’ancienne bibliothèque du comité d’entreprise, années 60.

Quelques années après la reconstruction de la Renaissance 1950, il y a un stade juste à côté, des écoles en face, un centre ville autour du sport, de l’éducation, des loisirs facile à se représenter. Autour d’une place, beaucoup de festivités ont lieu, trois jours de festivité à la SMN au14 juillet avec notamment des animations à la Renaissance, une fête populaire avec des manèges, un feu d’artifice, une course cycliste, un radio crochet et une retraite aux flambeaux.

On peut aussi parler de la sortie annuelle à Marie Joly, tous les ans la SMN conviait ses employés et leurs familles à prendre le train minier pour aller jusqu’à Marie Joly. C’était une journée de flânerie, de balade, de pique-nique, cela correspondait au lundi de pentecôte. La SMN est propriétaire des mines de Soumont Saint Quentin et de Potigny, quand le baron Thyssen vient s’installer ici c’est parce qu’il y a du minerais de fer donc il achète des concessions minières à Potigny et aux alentours dans un premier temps.

Il y a également les colonies de vacances à St Germain de Livet et Franceville, les moniteurs des colonies de vacances étaient des gars de la SMN, pour la plupart des instituteurs ou des anciens élèves. On retrouve partout des gars SMN, on cherche les compétences là où elles sont. Il y avait mardi gras aussi avec une très forte participation.

Le plateau c’est 160 hectares, à peu près l’équivalent de la surface de l’usine. C’est une œuvre gigantesque de bâtir cette cité ouvrière, avec des dizaines de milliers de m3 de terre, par exemple pour équiper les jardins potagers, des kilomètres de clôtures, avec une voie de chemin de fer dédiée à l’acheminement des matériaux, environ deux kilomètres.

 

Je remercie Messieurs Prokop et Kielbasa de m’avoir raconté « un petit morceau de la  SMN », je les ai écouté avec beaucoup d’intérêt et je suis ravie de pouvoir retranscrire ici un peu de « la mémoire du plateau ».

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Par Maryline Bart, le .