Portrait de Solenne et Inès
Inès Legrand, 17 ans, en terminale ES au lycée Victor Hugo à Caen et Solenne Finot, 17 ans, en terminale scientifique également à Victor Hugo, ont toutes les deux concouru au concours de plaidoiries des lycéens au Mémorial de Caen le 27 janvier 2017. Leur plaidoirie brillante et très bien argumentée dénonçait le régime de Bachar el Assad…
Détruire l’humain. Ils étaient des dizaines, piétinant de leurs bottes militaires des corps massés au sol.
« Voilà pour votre liberté, crient-ils, voilà pour vos martyrs ! » Les hommes à terre ne disent rien, les dents serrés par la douleur, la bouche fermée par la terreur. « Mais qu’est-ce que c’est que la liberté ? reprennent les soldats. Ça ne veut rien dire ! »
Plus tard, lorsque le sang eut recouvert le sol, les hommes de la sécurité syrienne, aux ordres de Bachar el Assad, esquissèrent sourires et V de la victoire devant les corps inertes, maltraités. Puis emmenèrent avec eux les rares survivant de ce massacre organisé […]
« Bachar el Assad veut tuer son peuple, explique Abou, pas seulement en l’éliminant physiquement, il veut le déshumaniser. » Pourquoi, comment en est-on arrivé là ? Il est clair désormais que la torture généralisée vise avant tout à écraser les opposants au régime dictatorial, ceux que l’état syrien qualifie de terroristes.
Ces groupes armés, dont le combat pour la démocratie se double souvent d’une lutte religieuse (des opposants sunnites contre le pouvoir chiite) ne sont pas certes pas exempts de reproches : eux aussi pratiquent la torture sur les populations civiles sous leur contrôle. Fragilisé par cette contestation multiforme, Assad profite de la lutte internationale contre Daech pour réprimer dans la violence la plus abjecte ses opposants, dans le but moins de protéger le territoire national que de sauver son régime autocrate. Et il reçoit pour cela l’appui inconditionnel de la Russie et de l’Iran, les deux préférant soutenir l’allié chiite plutôt que de détruire Daech.[…]
Et en attendant l’Europe doit prendre la mesure de ses responsabilités en ouvrant généreusement ses frontières, afin d’accueillir tous ces hommes, femmes, enfants, qui ne cherchent qu’à survivre et à trouver la liberté.
Rappelons-nous le célèbre poème Si c’est un homme de Primo Lévi.
Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis
Considérez si c’est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connait pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui pour un non.
Considérez si c’est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu’à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N’oubliez pas que cela fut,
Non, ne l’oubliez pas:
Gravez ces mots dans votre coeur.
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant;
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s’écroule;
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous.
Nous avons eu le plaisir de rencontrer ces deux jeunes filles pour qu’elles nous livrent leur ressenti sur cette belle aventure.
Inès
Il faut savoir que ce n’est pas seulement une journée, on est en immersion complète quatre jours avec les autres candidats et finalement, on n’a pas vécu cela comme un concours mais plutôt comme une aventure avec d’autres personnes que l’on ne connaissait pas avant et on a été très heureuses de faire cela. C’est une expérience humaine avant d’être un concours et en soi il n’y a plus que le titre de concours, il y a un peu de pression forcément, la peur de passer devant mille cinq cent personnes, on a peur qu’il ne comprennent pas pourquoi on est là, qu’ils ne nous entendent pas. Cela n’a pas du tout était le cas car il y a massivement des lycéens et des collégiens et les professeurs font très bien leur travail donc on est très écouté et l’espace sur scène est très chaleureux, le moment le plus tendu est juste avant la montée sur scène mais on voit juste des visages ouverts et accueillant et on a juste envie de communiquer notre message.
Vous avez déjà assisté en tant que public au concours ?
On y était en troisième, je crois que tu y étais allée aussi Solenne. L’année dernière, j’y suis retournée pour concourir.
Pour cette année, cela s’est décidé comment ?
Inès
L’année dernière, je suis allée au concours régional mais j’ai terminé deuxième et je n’ai donc pas pu faire la finale nationale. Je me suis dit que j’y retournerais mais j’avais envie d’emmener quelqu’un avec moi parce que c’est aussi une aventure humaine à partager et Solenne m’avait dit qu’elle avait aussi envie de le faire, c’est pour ça qu’on a décidé de le faire ensemble.
Comment cela se passe, c’est vous qui faîtes la démarche ?
Solenne
Il y a un peu deux types de candidats, ceux qui ont fait cela dans le cadre d’un projet de classe et il y a des candidats comme nous qui connaissent le projet en amont. Le travail est fait indépendamment d’un projet de classe mais généralement aidé d’un professeur même s’il y en a qui le font totalement seuls.
Nous, on s’est faites aider par notre professeur d’histoire géo que l’on a la chance d’avoir en commun.
On a rédigé la plaidoirie toutes seules, on s’est inscrit toutes seules et après pour retravailler un peu le remaniement des phrases et l’aisance à l’oral, on s’est faites aider par un professeur.
Est qu’il y a des textes imposées, des sujets ?
Inès
C’est absolument libre , c’est pour cela que l’on trouve des sujets originaux, cette année vous avez entendu un jeune homme qui a plaidé pour les œuvres d’art béninoises. Il y a une condition, il faut que ce soit un fait d’actualité, on ne peut pas plaider sur des choses qui sont passées et finalement on peut choisir absolument n’importe quelle violation des droits de l’homme qui tient toujours actuellement.
La forme est imposée, il faut que ce soit une plaidoirie sur un sujet d’actualité et qu’on explique un maximum de textes qui ont été violés, pas juste décrire une situation, il faut dire que cela ne correspond pas à tel décret ou à tel texte. Évidemment il y a la déclaration des droits de l’homme qui est citée mais il faut essayer de varier et citer d’autres textes.
Il n’y a pas d’autre contraintes ?
Inès
Une limite de temps bien sûr mais sinon non car en fait le mémorial se dédouane totalement de ce que disent les candidats, c’est de notre responsabilité. Cette année, il n’y a pas eu de candidats qui ont plaidé contre la France mais il y en a parfois qui disent : à nos portes, il y a ça.
Solenne
L’année dernière il y avait une candidate qui plaidait pour la mixité sociale et qui reprenait en ouverture une manifestation de femmes voilées.
Pour les régionales, on envoie des dossiers avec un résumé de notre plaidoirie, pourquoi on a choisi ce sujet, nos sources. Seulement dix dossiers anonymes sont retenus et suite à cette sélection, il y a les finales régionales. C’est une sélection anonyme écrite mais la finale régionale est aussi une plaidoirie.
Pourquoi ce sujet ?
Inès
Eh bien l’année dernière, je suis allée au prix Bayeux des reporters de guerre et on a vu un reportage sur le travail d’une journaliste qui s’appelle Garance Le Caisne qui traitait de la torture opérée par le régime syrien sur le peuple syrien et les opposants au régime. Cela m’a trotté dans la tête et quand on a dû choisir un sujet de plaidoirie, on s’est dit que c’était une bonne idée. Notamment parce qu’on parle beaucoup de la Syrie, cela s’est vu dans les sujets de plaidoiries mais finalement les violations faites par le régime qui sont pourtant très importantes pour le commencement du conflit, on n’en parle pas tellement. C’est surtout aussi parce que beaucoup d’hommes politiques notamment en France disent qu’il faudrait s’allier avec Bachar el Assad pour combattre Daech et donc le vaincre, alors que statistiquement on constate qu’il y a plus de morts dû au régime syrien lui-même qu’à l’organisation islamique.
Solenne
Avant qu’Inès en parle, je ne savais pas ce qui se passait au niveau du régime, on n’en entend pratiquement pas parler dans les médias. C’est une nouvelle facette que l’on pouvait montrer.
Inès
Je pense qu’on s’en doute dans le sens où la Syrie n’est pas une grande démocratie mais on n’imagine pas à quel point ! Il y a des villes qui ont été rayées de la carte par le père Bachar el Assad au pouvoir depuis 1970.
Vous souhaitez ajouter quelque chose ?
Inès
Eh bien c’est vraiment bizarre, la finale régionale, c’est un concours comme on l’imagine, on arrive le matin, on plaide et on repart. Moi je pensais que la finale nationale allait se passer comme ça mais non pas du tout. On s’est fait de supers amis là-bas, quand on les a raccompagné à la gare, on pleurait tellement on s’était attaché en seulement quatre jours et apparemment ce n’est pas spécifique à notre année, c’est toujours comme ça. Nous par exemple, on habite dans l’agglomération caennaise mais ils nous ont dit de venir à l’hôtel, de participer aux activités même si on a déjà visité le mémorial, même si on connait les plages du débarquement parce ce que c’est la cohésion du groupe. Et je trouve que le mémorial fait un travail extraordinaire dans le sens où il souligne tout ce qui s’est passé en Normandie, le débarquement, les combats pour la liberté et la paix.
Et vraiment l’aspect concours tel qu’on peut l’imaginer, avec la pression, les candidats juste neutres c’est vraiment au régional, on s’applaudit par politesse, on n’est pas très chaleureux pas non plus froids, on est courtois tandis qu’au national c’est très humain, on parle de nous ouvertement, cela vient naturellement parce qu’il y a une bonne cohésion. C’est aussi le fait que l’on reste ensemble même après le concours, une fois toute la pression partie. On a gardé les contacts, on va essayer de s’organiser une petite journée à l’ascension, on essaiera de se retrouver à Paris car c’est assez facile de s’y retrouver, c’est plus direct et puis c’est facile sur les réseaux sociaux.
Solenne
Au final, on n’est pas forcément déçues de ne pas être sur le podium, juste cinq minutes parce qu’on se dit que si on est là c’est parce qu’on a une chance de gagner. Mais c’est juste sur le moment et puis on est content pour les autres, c’est une chance en moins d’aller à New York mais ce n’est pas la seule de notre vie. Ce qui compte, c’est vraiment d’être là et d’avoir participé. On se sent déjà hyper privilégiées d’avoir pu être parmi les quatorze finalistes.
Et donc l’année prochaine après le bac ?
Solenne
J’aimerais bien faire des études de chimie, je vais surement faire une classe préparatoire aux grandes écoles, une CPE scientifique en deux ans et ensuite intégrer une école de chimie.
Inès
Moi plus classique, tenter Science Po pour essayer de devenir avocate et faire de la politique.