Sarah Lecarpentier
Nous avions eu le plaisir de découvrir la pièce « Ô ma mémoire – la poésie ma nécessité » de Stéphane Hessel il y a quelques mois en Normandie, et pendant ce mois de juillet à Avignon, « Les Avides », écriture et mise en scène collective sous la direction de Sarah Lecarpentier, Cette dernière a accepté de rencontrer « Une plume vous parle » pour nous en dire un peu plus…
« Les Avides » est un spectacle un peu atypique de la compagnie « Rêvages », c’est un objet non identifié particulier, c’est avant tout une histoire d’amitié puisque c’est une écriture et une mise en scène collective. Avec Marie Plouviez et Hélène Sir-Sénior, nous souhaitions écrire ce spectacle à trois, nous avions très envie de travailler sur l’idée de thérapie et de ces soins que l’on voit partout dans le commerce devenir extrêmement onéreux, même aux États Unis avec des grandes messes effrayantes au nom du bien-être. Nous avions envie de cette critique, nous nous sommes inspirées, au tout début, du livre de Philippe Blasband « Les mangeuses de chocolat » qui est l’histoire de trois dames en thérapie. Puis nous avons décidé que c’était nous les thérapeutes et de là est née cette envie de faire participer le public, d’avoir un rapport comme cela très direct avec les gens de manière à ce que tous ensemble, on puisse vivre un moment de thérapie.
Il y a eu une première version de ce spectacle en 2013 puis Marie est repartie vivre aux États-Unis, c’est resté comme ça et puis nous avons rencontré Kim Viscano qui est l’actrice qui fait la « Claudie rappeuse », elle est canadienne. Et avec Kim en 2016, nous avons eu envie de réécrire le spectacle, de l’allonger et d’en faire un vrai format. Au départ, il était dédié au café-théâtre et au café-concert et nous avons voulu en faire un vrai spectacle de salle d’une heure. Pour Avignon Off, c’est Marie qui revient prendre son rôle initial, moi j’ai juste lancé le spectacle. Voilà c’est un peu une écriture à quatre mains qui nous plait beaucoup parce qu’on est très libre dedans et nous sommes heureuse d’avoir créer toutes ces folies, toute cette absurdité langagière, tout ce que nous avions envie de dire sur ce sujet… Cela nous a prit pas mal de temps, beaucoup de recherches sur ce mot « vide » et ce qu’il signifie dans notre société.
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Cela se passe comment ici à Avignon ?
D’être ici à Avignon, en pleine abondance d’affiches et de propositions, cela nous fait d’autant plus rire, qu’on se dit : c’est peut-être le bon endroit, mais toujours avec cette volonté d’une scénographie très épurée de tout reposer sur le corps et sur le chant, on s’est dit : on mise surtout sur le corps, sur l’acteur et le rapport au public.
Même les gens quand on les tracte, quand on dit thérapie, il y en a que ça fait rire mais il y en a à qui ça fait peur. On se disait, comment rire de ça, non pas pour dire : ce n’est pas bien d’aller en thérapie, parce qu’il y a de très bonnes thérapies et heureusement que ces professionnels sont aussi là. C’était plutôt une critique de la société de consommation et une espèce « d’ubérisation » thérapeutique où justement les charlatans qui ont fait trois stages nous vendent des trucs à neuf cent euros la semaine. C’était ces gens là qu’on avait envie de pointer du doigt et puis de rire de soi aussi.
L’idée c’était de vivre avec légèreté des choses qu’on vit parfois un peu gravement, bien sûr toutes proportions gardées mais avec l’envie de rire un peu de soi et je crois que les gens se marrent car ils rient un peu d’eux aussi. Et puis le vivre ensemble, parce que c’est leur lien à elles trois qui est touchant, on s’aide aussi les uns les autres dans ce mal être, le fait d’être à plusieurs cela peut faciliter la vie.
On le présente dans le Off parce qu’on s’est dit qu’il y avait le public et la programmation pour ce genre de spectacle et puis on avait très envie de le jouer vingt fois de suite parce que d’habitude c’est deux fois, trois fois. La compagnie « Rêvages » participe aussi à une semaine de poésie au festival à Contre Courant à la Barthelasse. Il y avait ces deux projets.
Nous nous sommes rendus compte aussi que c’était un spectacle tous publics, nous avions un peu peur au début, on se disait : les enfants de huit ans ou dix ans, qu’est ce qu’ils comprennent ? Et en fait, l’aspect collectif, ludique et chorégraphique, les fait rire même s’il ne saisissent pas tout, parce que derrière toutes ces blagues, il y a une petite profondeur textuelle tout de même avec des références à des choses. Mais même s’ils n’ont pas cet aspect là, j’ai envie de dire c’est un spectacle tous publics, que les parents n’aient pas peur de venir avec les enfants, ils verront d’autres choses qu’eux et riront.
Le choix du prix libre aussi est à noter, c’est d’une part le désir de toucher le grand public, y compris des gens qui ont moins de moyens. C’est aussi une volonté de la compagnie, de rester accessible pour que tout le monde puisse profiter de l’offre culturelle d’Avignon et puis un dernier clin d’œil au soutien thérapeutique. Le côté interactif aussi permet au public d’aller jusqu’au bout de la démarche, il est embarqué en douceur avec quatre étapes.
Vous pouvez nous parler de la compagnie Rêvages
La compagnie « Rêvages » est une compagnie que j’ai créé à l’issue de ma formation à l’école professionnelle de Lille qui fait partie des dix écoles publiques en France. Je l’ai créé en 2009 avec certains anciens de ma promo et d’autres vieilles amitiés parisiennes comme c’est le cas avec Hélène. C’est vraiment une compagnie et un collectif avant tout d’affinités amicales et artistiques. Moi au départ j’ai été comédienne et puis metteure en scène, parfois je joue dans les spectacles, parfois je mets en scène. Il y a un noyau d’artistes qui travaillent ensemble, il y a beaucoup de mises en scène collectives. Il y en a d’autre où c’est moi qui fait et qui signe.
Nos actes généraux, c’est assez souvent des créations ou des réécritures de propos très contemporains, ça c’est un vrai premier axe, on n’adapte jamais des textes de théâtre, on ne monte jamais de pièces. Ce sont soit des essais soit des poèmes soit des contes soit de la pure écriture. Et c’est très souvent frontal, assez souvent interactif, c’est vraiment notre patte à nous et la musique tient souvent une place centrale avec des plateaux assez souvent épurés et un collectif d’écriture et de corps. On fait des spectacles jeunes public, des spectacles tous publics, on n’a pas du tout de fermeture de genres, de codes.
D’un spectacle à l’autre cela peut être totalement différent mais je dirai que notre petite marque de fabrique, c’est de l’écriture, du chant et de la corporalité. il n’y a pas de décors, cela repose sur le présent .
Et Sarah Lecarpentier ?
J’ai fait l’école à Lille en tant que comédienne, j’en suis sortie en 2009, je suis comédienne à côté pour d’autres compagnies mais effectivement d’année en année la compagnie « Rêvages » m’occupe beaucoup. Je me suis découvert petit à petit non seulement un goût du collectif mais aussi de la mise en scène et de la médiation culturelle, ce qui est important pour nous dans la compagnie qui est implantée dans le Pas de Calais, une région que j’ai découvert, avec une offre sur ce territoire à la fois importante mais avec une demande et un besoin culturel aussi très important.
Et pour chacune de nos créations, nous nous sommes toujours souciés du public pour lequel on le faisait et du cadre dans lequel on s’inscrivait et quasi systématiquement que ce soit en amont ou en aval d’une création, nous faisons des actions culturelles qui peuvent être de petite envergure comme de petits ateliers, ou de grande envergure comme des commandes dans toute une ville sur du long terme. Mais toujours pour partager avec le public ce qu’est une création et quel impact cela peut avoir sur leur vie. » Les Avides », ce n’est pas juste venir voir le spectacle, c’est s’interroger : c’est quoi le vide, c’est quoi vivre ensemble ? C’est en tirer des thématiques qui me semblent fondamentales.
C’est aussi un acte très politique le théâtre.
Moi je le vis comme ça, d’autant plus peut-être, de par mes origines, j’ai vraiment été éduquée avec cette idée que si les actions qu’on fait ne sont pas publiquement source d’enrichissement et d’échanges alors cela reste une passion solitaire un peu moins intéressante. On pourrait s’appeler le « Collectif Rêvages » parce que tout le monde fait un peu tout et l’idée de fédérer et de transmettre reste une obsession constante dans les créations. On a besoin d’échanger et de se rassurer, on vit dans un monde très inquiet, d’autant plus ces derniers temps, et à juste titre.
Il est difficile d’échanger avec Sarah Lecarpentier sans parler de Stéphane Hessel.
Dans le festival à Contre Courant, je vais jouer « Ô ma mémoire » qui est le portrait de Stéphane Hessel, qui se trouve être mon grand père. J’ai eu très longtemps envie de le faire et j’en ai eu l’opportunité avec Kévin Keiss qui me met en scène et Simon Barzilay au piano, nous adaptons son livre qui est « Ô ma mémoire » , dans lequel il raconte sa vie en poésie, ce n’est pas une biographie politique ou publique.
C’est à quel moment de sa vie la poésie l’a guidé, porté, soulevé et dans l’autre partie du recueil on retrouve tous les poèmes en langue française, anglais et allemande qu’il aimait. Nous sommes partis de ce recueil en y ajoutant des textes à moi, des anecdotes, des interviews. Nous avons vraiment construit un portrait qui dure une heure dans lequel je suis tour à tour Stéphane Hessel et sa petite fille.
On retrouve un travail sur la langue comme dans « Les Avides » et une forme de poésie. c’est le portrait d’un européen qui a traversé le siècle et sur ce qu’il peut encore nous dire aujourd’hui. Ce spectacle, nous le donnons cette année une seule fois dans le cadre du Festival Contre Courant qui a lieu du 14 au 20 juillet pendant le Off, et l’on anime également des intermèdes poétiques entre les autres spectacles programmés. Nous sommes en fil rouge tous les soirs au milieu de portraits de poètes, des lectures et des performances autour de la poésie et de la lutte mais avec tout de même en phare le spectacle « Ô ma mémoire ». C’est sur l’île de la Barthelasse en plein air, c’est gratuit.
C’est une programmation de grande qualité avec des choses intéressantes à voir tous les soirs.
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Il dit une phrase très belle dans « Ô ma mémoire », Stéphane Hessel, « On peut être en poésie comme on peut être en Amérique ou en Australie parce que c’est partout et nulle part. » Et cette idée de dépasser les frontières dans nos têtes est très importante.
Je pense que même les gens qui ont peur des autres ou d’eux-même ont des vraies frontières, il ne s’agit pas de les critiquer, ils ont peur et la peur est une réaction tout à fait humaine. Mais de se dire qu’en poésie on peut passer au-dessus des peurs et quand je dis en poésie, je parle de théâtre, c’est fantastique.
Le fait de se rassembler ensemble pour écouter une histoire, pour en rire ou pour en pleurer. Ça c’est une vraie ouverture de frontière donc là-dessus on peut œuvrer.
“Créer c'est résister
Résister c'est créer” – Stéphane Hessel