Olivier Maille
Totalement séduite par la pièce, il était indispensable que « Une plume vous parle » rencontre l’auteur de son Coup de cœur Avignon Off 2017.
Peux-tu nous dire qui est Olivier Maille ?
Difficile exercice… Je suis Olivier, ancien avocat, j’étais avocat jusqu’en 2006 et ensuite à la grande joie de mes parents… j’y ai renoncé pour me consacrer à ma passion, l’écriture de pièces. J’ai commencé plutôt par de la comédie, peut-être par pudeur et puis je me suis lancé, je continue d’écrire des comédies mais j’aime bien écrire d’autres choses comme vous avez pu le voir, ma passion c’est vraiment raconter des histoires. Je joue aussi et cette année, cela me manque de ne pas jouer ici, l’année prochaine, je vais jouer dans une nouvelle création qui s’appellera « Tout là-haut dans les étoiles ».
Comment est né le projet Chats Noirs Souris Blanches ?
Le projet est né il y a deux ans, j’avais deux pièces et mon régisseur m’a dit : » Tu devrais peut-être écrire un truc avec de la musique dedans, ce pourrait sympa. »
J’ai dit pourquoi pas, je montais une comédie à l’époque dans laquelle j’avais identifié un rôle pour un comédien blanc alors qu’il pouvait très bien être tenu par un comédien de couleur. Je me suis alors demandé pourquoi j’avais eu ce réflexe, comme si la couleur était un critère de distinction. J’ai interrogé un pote antillais qui m’a dit : « Ce n’est pas forcément grave c’est peut-être que tu as une habitude de pensée comme tout le monde, que chacun doit rester à sa place. »
Cela m’a un peu heurté et je me suis demandé d’où venait cet esprit d’arrière-arrière-petit fils de colon que nous sommes nombreux à avoir. J’ai voulu savoir et j’ai commencé à lire des bouquins là-dessus, ce que j’ai lu ne m’a tout de même pas surpris parce que l’on savait, mais j’ai lu un livre terrible qui s’appelle « A bord du négrier« . Il raconte comment les esclaves étaient amenés de la côte Africaine à la côte Américaine avec tous les trafics, au début des européens et ensuite des américains en passant aussi par la traite Orientale dont personne ne parle. C’est aussi une traite terrible et eux faisait le chemin à pieds, ils faisaient dix mille kilomètres à pieds avec un taux de mortalité à quatre vingt quinze pour cent. Et je me suis demandé quel homme j’aurais été moi, confronté à cette époque là, avec un système, une autorité légitime… Voilà comment est née la pièce, c’est un peu une pièce catharsis.
Après, l’histoire que je raconte est une histoire de tranche de vie, je ne juge personne, je ne voulais pas faire de pathos car cela a déjà été fait, on n’est pas là pour dénoncer car qui suis-je pour dire : on sait que c’était une horreur. C’était plutôt trouver une histoire humaine à l’intérieur d’un drame.
J’ai eu beaucoup de retour de pros qui ont trouvé ça très bon et j’en ai même eu un qui m’a dit : « Moi je n’ai pas trouvé ça assez violent ». J’ai trouvé cela un peu bizarre mais chacun sa sensibilité. On va faire une tournée à la Guadeloupe, c’était la cible dont j’avais le plus peur, je craignais qu’ils ne me disent : « Écoute c’est un petit peu la récréation à l’intérieur de ta plantation » et ils nous programment. C’est pour moi un soulagement de me dire que ces personnes ont apprécié l’histoire que l’on a raconté. Et puis finalement, on ne parle pas d’esclavage, on parle plutôt d’humanité, cela aurait pu se situer… On aurait pu parler du massacre juif, on aurait pu parler des croisades, de n’importe quel massacre. Je pense que c’est ce qui plait aux gens, on ne parle pas d’esclavage, on parle d’humanité, de compréhension, il y a même une histoire d’amour, une histoire de frères, d’amitié. Je me rends compte de tout ça quand les gens nous en parlent, cela fait plaisir.
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Le fait d’avoir mis de la musique, cela permet de faire passer des messages de manière moins frontale.
Oui c’est vrai mais c’est la création de Gérôme Gallo qui a fait une superbe trame musicale. Je lui ai fait un cahier des charges qu’il a réussi à cent pour cent, ensuite j’ai orchestré avec lui. Je lui ai dit, là je veux qu’ils soient derrière, là je veux qu’il y ait des chœurs… c’était un travail super intéressant et, pour que les gens apprécient, il faut forcément que ce soit un travail de groupe, ce ne peut pas être le travail d’une seule personne.
La musique permet tout ça et elle illustre tout le temps, en dix seconde elle arrive à émouvoir alors qu’il faut un quart d’heure au théâtre pour provoquer de l’émotion, on a peu près réussi à trouver l’équilibre. Je pense que la réussite avec un petit « r » de la pièce, c’est qu’il y a un équilibre réussi entre tout je pense, entre le message qu’on veut donner, l’émotion, le rire, c’est une pièce où on rigole quand même.
On a plutôt réussi tous ensemble notre pari. C’est un réel travail collectif, une fois que tu as des gens talentueux autour de toi, tu es tranquille pour la création, après ce sont des péripéties, on n’est pas des robots, on est des humains, rien n’est parfait. On reviendra l’année prochaine et ce sera encore plus fort, les prestations sont un peu différentes en fonction des jours car comme c’est une création, on a pas encore assez de travail, on n’a pas encore assez éprouvé la pièce.
L’année prochaine on reviendra avec un truc encore plus fort, parce que Avignon c’est la jungle, il faut être ultra performants. Il y a tout de même mille quatre cent quatre vingt spectacles, on réfléchit aussi sur la com de l’année prochaine car on rattrape beaucoup de monde au tractage, on rattrape sur le bouche à oreille. Il y a très peu de spontanés, ce qui veut dire qu’il y a quelque chose qui fait peur dans comment on annonce la pièce, le sujet dont elle traite. Quand quelqu’un dit qu’il a été agréablement surpris c’est bien qu’au début il y a une peur, l’année prochaine, on insistera davantage sur la musique et sur le fait que c’est une belle histoire qu’on raconte.
C’est tout de même un très beau succès pour une création.
Oui tout le monde nous le dit car mon nom n’est pas du tout connu dans ce milieu là, je suis plutôt un auteur de comédies, on n’a pas de tête d’affiche, le sujet est difficile donc il fallait qu’on ait un très beau produit artistique, on a une belle parade aussi.
Oui on est globalement content, on a une petite tournée en Martinique, en Guadeloupe et quelques dates en métropole.
C’est quoi ton rythme sur Avignon ?
Le matin, on essaie de rappeler les pros qui sont venus la veille, on fait des comptes et puis je commence à prendre des rendez-vous pour d’autres productions pour l’année prochaine, j’aide un peu au tractage quand je peux mais j’avoue que cette année, je n’ai pas trop tracté. Et cette semaine, je relâche un peu, je commence à aller voir des spectacles, à profiter un peu des collègues .
Pour toi le spectacle vivant joue quel rôle dans notre société ?
Je ne suis vraiment personne pour prétendre dire ça mais c’est Aristote qui disait que le théâtre vient d’un besoin irrationnel des gens de s’imiter entre eux. En fait, on est des singes, tu sais que tout est faux mais tu te laisses cueillir par une pièce. Quand tu vas voir « Chats Noirs », tu n’es pas en Louisiane, mais tu te crois en Louisiane, c’est irrationnel. Ça c’est humain, donc le rôle social ! C’est pour cela que les gens ne se rendent pas compte du symbole de la culture mais la culture c’est la contestation, c’est les idées….
Il y a un auteur Pierre Bayard qui dit qu’il faudrait aussi un ministère de la littérature parce que quand tu ne peux plus raconter d’histoires aux gens, eh bien tu n’as plus qu’une seule histoire, c’est le « Big Brother », « Le meilleur des mondes », tous ces auteurs qui ont dénoncé la pensée unique.
Le théâtre permet de ne pas avoir la pensée unique, c’est ça d’abord l’apport du spectacle vivant même plus que le cinéma parce qu’au théâtre tu as les gens en face, en chair et en os, tu ne peux pas tricher. Même quand tu joues, tu sens le public. Tu sens si tu tiens ta salle ou pas, donc le rôle c’est ça je pense, on est là pour que des infos circulent, que des émotions circulent. Toutes les tyrannies fonctionnent sur l’absence de liberté d’expression qui passe par le théâtre parce que c’est institutionnalisé, les gens viennent voir, ils peuvent contester des choses. Malgré tout on vit dans un pays libre, les gens sont assez libres de s’exprimer.
Il n’y a pas de préfecture où on doit d’abord avoir l’autorisation pour jouer un spectacle, ça parait bête mais on oublie que dans certains pays c’est plus compliqué. Museler le spectacle vivant, museler la culture c’est museler la liberté ça on le sait.
Après Avignon ?
J’ai quatre ou cinq créas qui vont partir et qui à priori vont venir à Avignon l’année prochaine mais que je ne produis pas, je finis l’écriture de mon nouveau projet personnel, je suis pris par trois ou quatre prod pour écrire et mettre en scène d’autres projets. Tant que je crée, ça va mais je ne veux pas faire que des pièces comme « Chats Noirs », j’aime bien aussi m’amuser, j’aime bien aussi raconter des histoires, c’est important. Il n’y a pas de hiérarchie dans les histoires, dans le théâtre, le divertissement est aussi important que la réflexion et d’ailleurs quand on a fait les deux, on a réussi. C’est pour cela que je voulais que dans « Chats Noirs » il y ait les deux, je voulais que les gens rigolent un peu, qu’ils ne sortent pas traumatisés, je ne ferai jamais un spectacle traumatisant. Après pourquoi pas mais moi, ce n’est pas mon truc.
Y-a-t-il des spectacles que tu conseillerais ?
Je n’ai pas encore vu beaucoup de choses, on m’a dit que Nicolas Vitiello était très bien dans « La Voix des Sans Voix » sur l’Abbé Pierre. Avec Nicolas, on a un peu le même parcours, il vient de la comédie et il a eu aussi un peu de mal à faire venir du monde parce que c’est un acteur de comédie et qu’on ne comprend pas pourquoi un acteur de comédie vient faire l’Abbé Pierre. C’est un peu le problème, de temps en temps, moi aussi j’ai un peu l’impression d’être un jeune auteur parce que je viens pas avec une comédie donc on redémarre à zéro. C’est très cloisonné, même l’ambiance est complètement différente en fonction des endroits ce n’est pas la même chose rue de la République ou aux Teinturiers ou au Buffon, à la Luna …
Dans « La Voix des Sans Voix », il y a aussi de l’humour et c’est un message de paix. Il y a aussi une sorte de méaculpa, il faut savoir que l’Abbé Pierre avait été accusé d’antisémitisme parce qu’il n’avait pas cru au début aux camps de concentrations. Mais en 46, à part les soldats américains et les russes qui ont libéré les camps, qui croyait à cet ampleur ?
Et puis aujourd’hui, on a le recul mais quand on est dedans ? Aujourd’hui par exemple, il y a le Yémen mais qui en parle ? Il y a une sorte de hiérarchie et des pays qui n’intéressent pas. Le Yémen, c’est un des plus grands massacres, ils sont bombardés par l’Arabie Saoudite mais personne n’en parle…
Les gens se rendent compte qu’il y a des réfugiés parce qu’ils sont dans la rue et dans des tentes de camping. Ce n’est pas le premier mouvement de réfugiés qu’il y ait dans le monde, mais là comme cela nous atteint nous, d’un seul coup cela intéresse les gens. Je pense que des gens lorsqu’ils ont vu « Chats Noirs », ont été émus. Il y a des gens qui sortaient en disant : « C’est bien de faire une piqure de rappel de temps en temps, de ce que l’humanité est capable de faire dans le bien et dans le mal. »
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Cela me donne envie d’écrire un sujet sur les sans papiers dans un ou deux ans, je ne sais pas encore trop comment mais c’est un sujet qui m’inspire bien. J’ai envie de raconter une belle histoire comme ça aussi et puis après il y a l’exploitation de tout ça. Tu as dans le métro parisiens des mecs qui font semblant d’être syriens pour obtenir quelque chose, c’est incroyable. Mais les gens font ce qu’ils peuvent pour survivre. Chacun fait ce qu’il peut pour survivre dans ce monde là.
Le théâtre cela permet de rigoler, de souffler un peu. Le plus beau compliment qu’on ait eu c’est « j’ai eu besoin de deux ou trois heures pour sortir de la pièce » .