Pascal Rambert

Une belle rencontre comme nous les aimons

« Je m’appelle Pascal Rambert, j’écris et je mets en scène les pièces que j’écris car je ne mets en scène que mes propres textes depuis presque quarante ans. Voilà je me suis bien résumé dans cette phrase. »

Mais Pascal Rambert que nous rencontrons au Panta-théâtre en compagnie de Guy Delamotte, co-directeur des lieux avec Véro Dahuron, est disert et cela tombe plutôt bien car nous aimons écouter, donc tout va pour le mieux.  Nous lui laissons la parole qu’il partagera, un peu avec Guy !

« Je n’écris pas des pièces en disant tout à coup : tiens j’ai une idée sur ce sujet là, je ne suis pas un auteur qui écrit en imaginant des personnages et ensuite donne sa pièce à un metteur en scène.

Depuis que j’ai seize ans j’écris systématiquement pour les gens avec lesquels je travaille, j’ai commencé à écrire pour mes camarades de première/terminale et la compagnie s’est constituée comme cela. Très vite nous sommes devenus professionnels et j’ai continué avec eux et à écrire pour d’autres acteurs qui  avaient des noms…

Ma productrice m’a dit qu’il y avait un théâtre à Caen, le Panta Théâtre qui aimerait beaucoup que « Clôture de l’amour » vienne. Nous travaille tous beaucoup et il a fallu trouver la bonne période pour que cela se fasse. Lorsque je suis venu ici la première fois, je ne connaissais pas le lieu,  j’avais eu l’occasion de venir au CDN à Hérouville où j’avais présenté mes pièces entre 2000 et 2006. Nous avons joué ici, la salle était pleine, après nous avons tous dîné ensemble puis nous avons parlé et voilà.

J’ai été touché par Guy et Véronique, il y a quelque chose qui m’a plu dans leur aventure ici depuis vingt ans. J’ai de l’admiration et du respect pour cela, moi je serasi incapable de rester, déjà au bout d’une semaine, je commence à me tendre, que je sois à Caen, à Tokyo, à Mexico ou à Los Angeles ou à Paris, j’ai tout le temps besoin d’être dans une forme de mouvement et de création en différentes langues..

Ce métier se fait beaucoup à partir de rencontres, nous avons envie de passer du temps avec certaines personnes. Quand Véronique m’a dit : « Il faut que tu écrives quelques chose pour nous! » J’ai d’abord dit que je n’avais pas d’idées, il y a des auteurs qui ont des idées, moi non, je prends mes idées sur les corps des autres donc je suis une sorte de parasite.

Je prends sur l’imaginaire des autres, je m’accroche à eux et je leur écris des textes. Là je viens de finir une pièce pour Isabelle Huppert, je suis en train d’en écrire une autre pour le Théâtre National de Lisbonne que je vais mettre en scène bientôt, j’en termine une autre pour un metteur en scène qui s’appelle Arthure Nauzyciel qui dirige le TNB  à Rennes. J’écris aussi une pièce pour Marina Hands et Audrey Bonnet avec lesquelles je viens de faire la dernière pièce en tournée « Actrices« .

Ce métier repose beaucoup sur le désir, sur le désir de passer du temps avec les gens. C’est ainsi que je me suis dit que l’on pouvait travailler ensemble. Mais travailler ensemble, c’est les regarder, regarder Guy, regarder son âge, regarder celui de Véronique

Lundi soir, ce sera la douzième production de l’année, c’est la douzième pièce que j’écris et que je mets en scène en douze mois dans à peu près huit ou neuf langues différentes en plus de la Comédie Française, en plus de la dernière aux Bouffes du Nord. C’est un rythme très serré mais c’est ma vie, je fais cela depuis toujours, j’aime cela et je ne me plains pas.

Parce que je ne le fais pas, j’ai une forme d’admiration pour ceux qui sont capables d’être beaucoup plus sages que je ne le suis, de pouvoir rester et de faire d’une certaine manière ce que j’ai fait dix ans en dirigeant le Centre Dramatique National à Gennevilliers. Où là j’ai mis mon réseau, mes connaissances au service d’autres gens que moi-même. En dix ans à Gennevilliers je n’ai présenté que des auteurs vivants, cela a l’air incroyable mais ce n’est pas si évident que cela parce que souvent les scènes sont peuplées d’auteurs morts…

J’ai beaucoup de propositions d’opéras que je refuse les proposition d’opéras, c’est très agréable de travailler à l’opéra mais cela induit un rapport au monde qui parfois m’insupporte, un rapport de tension, de pouvoir, de hiérarchie. Et pourtant c’est très agréable, j’adore cela, être avec un chœur, être avec un orchestre symphonique c’est un métier merveilleux mais le rapport direct avec les personnes et écrire pour des gens, ce n’est pas rien !

 

Je leur ai envoyé un sms, je leur ai dit dit, j’ai une idée, je sais ce que je vais faire. L’espace a compté aussi parce que je l’avais bien en tête, j’avais joué deux fois « Clôture de l’amour » ici. J’aimais bien ce côté un peu comme à la Cartoucherie à Vincennes, l’espace comme cela, réel. Je leur ai dit que j’avais une idée et qu’à partir de là, je me taisais et j’écrivais la pièce.

J’en écris cinq ou six par an donc c’est un rythme quotidien d’écriture et je ne commence pas à palabrer avec les gens, quand on fait une pièce il faut assumer ses choix, on l’écrit, on la donne et c’est terminé, après on peut faire des petits ajustements et là nous avons fait une chose merveilleuse en plus.

En général, je ne donne pas mes textes à lire aux acteurs, je les lis avec eux, nous lisons la pièce ensemble le jour où je la leur donne. La pièce que je viens de faire à la Comédie Française (d’habitude, nous lisons dans la cuisine chez moi, j’aime bien, un côté un peu modeste mais je ne me voyais pas faire ça chez moi avec les acteurs de la Comédie Française) nous l’avons fait dans le bureau de l’administrateur général et c’était fort, d’être dans cet endroit où tous les administrateurs sont passés, il y a une histoire de l’art du théâtre à la Comédie Française.

Ici je leur ai dit : j’aimerais bien faire un truc encore plus incroyable. J’arrive de Paris avec le texte, je vous le donne en sortant de la gare, on vient ici devant des spectateurs et on lit, sauter dans le vide à côté c’est facile, là c’est un truc waouh ! Il faut faire des choses comme ça dans la vie, il faut faire preuve de courage, alors ils ont fait preuve de courage et cela scelle aussi quelque chose. C’est comme une sorte de pacte, les mots sont délivrés quand on lit pour la première fois et je n’avais jamais fait cela avant devant des spectateurs.

Cela fait toute une série d’actes entre nous qui a conduit à l’écriture de ce texte, qui est très loin de leur histoire, qui est une fiction, pardon d’être un peu long mais oui finalement la pièce est importante mais aussi tout ce qui la sou tend, le désir, la ressemblance, des goûts communs, une envie de partager du temps, ici, là comme là, dans le calme et la concentration pas dans le fourre tout où ça bouge de tous les côtés, j’avais envie de cette expérience.

Après cela va donner une pièce, Guy peut-être que tu peux un peu parler là :

« Pascal retrace bien l’aventure, c’est une suite de rencontres, de désirs partagés, de petits paris insolites, d’envoyer un sms un jour en disant si tu nous écrivais quelque chose, de la lire en public. Et au final, nous trouvons le créneau de temps, d’argent, les questions plus terre à terre qui permettent que cela se fasse.

C’est une rencontre, ce n’est pas un cadeau parce que Pascal n’aime pas ce mot cadeau mais c’est quelque chose qui reste de cet ordre pour nous, qui n’a rien à voir avec notre histoire parce que très vite les gens ont cru que Pascal écrivait une pièce sur l’histoire j’allais dire de Véro et Guy et non ce n’est pas ça. »

Pascal Rambert : Je ne me sers jamais de l’intime ce qu’on appelle l’intime des personnes.

 

Ce que l’on voit je crois, ce sont des gens comme tout le monde, je crois qu’il n’y a pas de gens qui vont dire, je n’aimerais pas revivre ce moment là, ne serait-ce que quelques secondes, de là à revivre sa première histoire d’amour c’est déjà plus compliqué mais simplement un après-midi dont on peut se souvenir.

Voyez-vous je fais du yoga tous les jours, je ne suis pas du tout bouddhiste… je fais juste cela comme d’autres font de la gymnastique ou de la boxe. C’est vraiment un entretien du corps mais à partir du moment où je me mets sur le tapis cela produit quelque chose dans le corps, une sorte de calme et souvent les bons moments reviennent. Il y a quelque chose de connecté sans doute, mais chaque fois que je suis sur mon tapis, je n’ai jamais de souvenirs de choses désagréables, je pars très vite, je suis en Italie, au Japon, des moments qui sont chaque fois agréables. Si je dis ça c’est pour revenir sur ce qui se passe dans la pièce. À leur manière, ils essaient de retrouver ce premier regard, cette première chose qu’ils ont vécu, qui les a fait tomber amoureux, qui les a fait se mettre ensemble, qui les a fait étudier ensemble parce qu’on comprend que ce sont des professeurs, tous les deux agrégés… qui ont eu un enfant, une fille en l’occurrence, on comprend très vite qu’ils se sont séparés et presque trente ans plus tard, ils se retrouvent pour faire cette chose dont on sait au fond de soi, même si on la désire qu’il ne faut pas la faire, c’est s’exposer peut-être à quelque chose de pire.

C’est ce que je voulais faire avec eux et je pensais qu’ils en avaient la capacité, je travaille souvent avec des couples, des couples d’acteurs, cela m’est arrivé souvent. Souvent quand je joue « Clôture de l’amour » dans différents pays, les acteurs sont ensemble à la scène et dans la vie, ce n’est pas quelque chose que je mets en avant mais cela produit souvent quelque chose, il y a des fils qui sont là nécessairement. Nous ne sommes pas là pour voir leur histoire personnelle mais il y a quelque  chose qui se dégage et qui est de mon point de vue très émouvant.

Par exemple, ce que j’ai vu hier après-midi, le filage de la pièce, m’a profondément ému. Le contexte, ce qu’ils se racontent, leur propre présence scénique, Guy qui est un peu moins acteur que Véronique mais il y a vraiment quelque chose de profondément bouleversant entre eux au-delà même du sujet.

 

Je vais terminer par un petit mot sur le Panta.

Je dois le dire sans que ce soit une posture, je l’ai dit plusieurs fois, ce qui m’a comment dire saisi avec Audrey Bonnet quand nous sommes venus jouer ici, Guy le sait, par rapport à des plus grosses structures, c’est que l’accueil n’a rien à voir avec ce qu’il y a ici. Là on vient, on est à la maison, on prend notre petite soupe…

Le lieu est chaleureux, l’accueil !!!

On arrive tellement souvent en tournée, dans des endroits où vous tombez sur une pauvre relation publique qui vous dit :  « Je ne peux pas rester mais le directeur est très heureux que vous soyez là, nous sommes très heureux mais il faut que j’y aille, j’ai pas vu la jauge … » Bon on peut aussi partir si vous voulez, on n’est vraiment pas obligé de jouer, on est très bien chez nous.

C’est fréquent, il ne faut pas non plus exagérer mais arrivés dans des lieux même si le directeur n’est pas là, ce que je peux comprendre, je l’ai été aussi et j’étais tout le temps en tournées ou parti…  On n’est pas forcément là mais on essaie de s’organiser pour les premières, d’être là au moins pour accueillir les artistes et puis ce sont des artistes qu’on a choisi. Il y a des endroits où il y a cinquante spectacles par an, autour de la saison, ils sont choisis sur catalogue ou sur le dernier article qui sera bien !

Ce n’est pas de là où l’on vient, je pense qu’avec Guy nous nous sommes reconnus sur une forme d’amour du théâtre et  ce qui se passe ici est quelque chose de précieux, ce qui me fait chaque fois dire à Guy pourquoi il n’y a pas une sorte de je ne sais quoi,  d’amicale ? Le mot n’est pas mal d’ailleurs plutôt qu’un réseau ou un net work. En France, il y a des gens qui ont eu ce courage et cette abnégation, cette envie de se coltiner un espace. C’est vrai que ces aventures là ne sont pas ce qui est le plus courant aujourd’hui parce qu’il y a de moins en moins d’argent et les pouvoirs publics sont de plus en plus frileux, cela devient très compliqué de monter des projets.

Mais le jour où Guy et Véronique diront on passe à autre chose, on arrête, on entendra : « Oh comme c’est dommage ! Oh nananère !  » Mais pendant qu’ils en train de le faire, ceux qu’on appelle les grands journalistes des grands quotidiens nationaux ne viennent jamais pourtant ils sortiront les clichés que l’on connait. Donc il faut le dire pendant que c’est en train de se passer parce que c’est le bon moment.

 

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Par Elisabeth Augeul, Maryline Bart, le .

Crédits

Marc Domage

Tristan Jeanne-Valès

Panta Théâtre