À table !

La Normandie des gastronomes XVIIe - XXe siècles

À table

À Table !

La Normandie des gastronomes XVIIe – XXe siècles

Exposition jusqu’au 5 mars 2017

Musée de Normandie

Château de Caen

http://musee-de-normandie.fr

 

 

Rencontre avec Alice Gandin, conservatrice au Musée de Normandie et commissaire de l’exposition

 

Alice Gandin nous propose une déambulation à travers cette exposition sur la gastronomie à partir du XVIIe siècle.

Le point de départ de cette exposition est la valorisation de la Normandie dans l’histoire de la gastronomie française classée au patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2010.

Notre façon de manger et de concevoir le repas est atypique par rapport à d’autres pays, tout cela a une histoire et il est évident que la Normandie a sa part dans cette histoire. Mais je laisse la parole à Alice Gandin.

Je ne suis pas normande mais je constate qu’on a une agriculture très riche, qu’il y a absolument tout pour faire un bon repas en Normandie sauf des vins de grande qualité. Ce que Curnonsky appelait le paradoxe gastronomique de la Normandie. On a des volailles, du gibier, de la viande de boucherie, des fruits, des légumes, des produits laitiers, des œufs… vraiment de tout mais on n’est pas une région viticole. La Normandie qui faisait en quelque sorte un mauvais vin n’a plus planté de vignoble après l’épisode du phylloxéra. On commence par la façon dont les grands maîtres restaurateurs parisiens ont pu s’approvisionner en Normandie et comment l’histoire du goût a pu modifier l’agriculture normande.

Un premier tableau plante le décor, il s’agit d’une Nature Morte au homard et à la soupière de Guillaume Fouace, une nourriture abondante, et une des particularités des plats normands : le homard.

On parle de révolution culinaire au XVIIe siècle et de la naissance des arts de la table.

Cette révolution ne naît pas d’un coup, c’est une lente évolution du goût, la cuisine médiévale va se métamorphoser tout au long de la Renaissance pour aboutir à la cuisine que l’on connait aujourd’hui avec les mêmes fonds des sauce, les mêmes herbes aromatiques qui vont composer ce goût de la cuisine française. On arrête les épices, le sucré-salé, de tout mijoter et le sucre apparait à la fin du repas.

Au XVIIe, nait le roux que l’on connait aujourd’hui pour la blanquette avec de la farine et du beurre car on commence à mettre du beurre dans la cuisine. Avant le beurre est une matière grasse dévalorisée, c’est une nourriture non noble, une matière grasse pour les paysans qui est interdite pendant le carême parce que à base de lait donc d’origine animale. Le carême était beaucoup plus présent dans le calendrier qu’aujourd’hui, plus d’un quart de l’année en temps de carême donc on n’avait pas le droit de manger de beurre.

On subit encore les didacts de l’église. Petit à petit, certains membres du clergé en France du Nord, les gros consommateurs étant Normandie, Bretagne, Pays de la Loire, les très grosses régions laitières(encore aujourd’hui), font entendre leur voix et le pape finit par autoriser la consommation du beurre. Cela répond également à une évolution du goût, on met du beurre dans la cuisine pour casser l’acidité, le beurre, la crème, les matières grasses adoucissent et la mode veut que l’on en a assez des saveurs acides, épicées, du mélange sucré-salé qui caractérisent la cuisine médiévale. On arrête tout ça, on dissocie les aliments pour ce qu’ils sont, les modes de cuissons sont différentes, et on adoucie avec le beurre qui commence à être autorisé et que l’on commence à apprécier. Et à partir de ce moment là, il faut en produire, d’où la place de la Normandie en approvisionnement.

On commence à détenir les bonnes manières de la table. Auparavant, les assiettes n’existent pas et on mange sur un tranchoir, avec les mains, on se partage les gobelets…Les verres apparaissent mais les fourchettes ne se généralisent qu’au début du XVIIIe, la serviette qui est monumentale prend sa place, faute de serviette, on s’essuie où on peut, à la nappe ou ailleurs.

On a voulu raconter une histoire à travers des tableaux et des objets : des pichets à eau en étain, un très beau plat à épices qui trône au centre de la table, des couverts individuels très travaillés en ivoire. Cette exposition est faite en coproduction avec le musée d’art et histoire de Vire qui a accueilli l’exposition avant nous, l’entreprise Guy Degrenne spécialisée dans les arts de la table y est implantée, il y a une très belle collection de couverts à Vire. De très beaux objets comme ce pot à oille, ancêtre du pot au feu en quelque sorte, ces beaux couverts, les timbales, ce beau plat à poisson en étain et cet objet insolite, un rafraichissoir à verre en proviennent.

Le grand  changement au XVIIIe qui va vraiment se généraliser au XIXe c’est l’invention de la salle à manger.

Avant la salle à manger n’existe pas, on mange là où il fait chaud, là où on en a envie, on dresse la table. On sort les tréteaux et le plateau et on met la table avec des domestiques qui sont nombreux, parfois trois pour un couple.

Au XIXe, la salle à manger se généralise, c’est un endroit dédié aux repas et on vire les domestiques, il faut donc des petites sonnettes de table pour appeler.

Voilà la salle à manger du XIXe, avec une surcharge décorative de la table, on est vraiment dans le plein épanouissement des arts de la table.

Vous avez un magnifique service en porcelaine de Limoges primé à l’exposition universelle en 1897, avec le plat à poissons sur lequel on voit le relief de fruits, la saucière, les rinces doigts, des raviers et une petite desserte à rafraîchissoir car à partir du moment où on enlève les domestiques, les bouteilles restent dorénavant près des convives. Il n’y a pas de verres à table, ce sont les domestiques qui prennent les verres et les amènent, et certains diront que lorsqu’ils sont mal placés ou mal vus des domestiques, ils n’ont pas à boire.

Vous voyez cette façon de disposer les verres, là ils sont en diagonale à la française avec les fourchettes les pics mis en bas, lorsqu’ils sont à l’horizontale, c’est à l’anglaise. Là c’est un service à la Russe qui a détrôné le service à la française au XIXe. Le service à la française, c’est quatre séries de plats ou plus qui sont servis en une seule fois, chaque convive prend ce qu’il a en face de lui ensuite les serviteurs enlèvent les plats. Il y a le service des entrées, le services des rôts, le service des entremets, tandis que le service à la Russe c’est ce qu’on connait, c’est à dire que c’est le service à l’assiette. Donc arrive l’élaboration d’un menu car avant il peut y avoir quinze entrées mais vous prenez que ce qu’il y a devant vous, on ne passe pas les plats. On remarque la nappe sur laquelle il faut voir les plis de repassage, un nappage blanc qui descend jusqu’en bas

Et dans cette salle à manger, on y met des natures mortes. On  a exposé un vrai tableau de Boudin car avant d’être le peintre des plages, il était aussi peintre de tableaux de salles à manger. Il y a eu beaucoup de peintres qui se sont fait cette spécialité, on a des natures mortes car le convive ne doit pas être distrait.

La gastronomique des français comprend la préparation du repas, l’anticipation des menus, le choix des produits et une fois que les convives sont à table, ils parlent de comment ils ont cuisiné et ce qu’ils aiment manger. On parle du repas, c’est typiquement français et pour rester dans l’ambiance du repas, on met des natures mortes.

Là on se demande où est la Normandie, elle va arriver comme terre d’approvisionnement particulière pour les grandes tables parisiennes, pour la qualité de ses produits.

Donc voici l’envers du décor, c’est à dire les cuisines, le cuisinier devient un être à part, une profession valorisée au XIXe car avant la bonne cuisine se faisait dans les cours aristocratiques. Les chefs cuisiniers commencent à travailler dans la vie civile et le restaurant nait au XIXe, auparavant les auberges n’avaient pas bonne presse. Le restaurant va acquérir ses lettres de noblesse et le premier à être un grand chef est certainement Carême qui a écrit l’Art de la cuisine française au XIXe, c’était le cuisinier de Talleyrand. Escoffier, plus connu, a simplifié la cuisine de Carême au début du XXe. C’était très joli ce que faisait Carême mais c’était une cuisine très architecturale, beaucoup d’élaborations pyramidales, de compositions en hauteur. Il fallait que ce soit bon et beau. Mais c’est lié à la cuisine française que l’on peut encore cuisiner aujourd’hui, ce que l’on appelle la cuisine bourgeoise de famille.

 

J’aime beaucoup ce tableau qui nous sert d’affiche, j’ai adoré le regard de ce cuisinier avec son mitron derrière. C’est aussi Carême qui invente le bonnet du chef car la cuisine est très hiérarchisée, le chef c’est le chef.

Il semble bien embarrassé avec tout cet arrivage de poissons, de gibiers, alors que va-t-il bien pouvoir cuisiner ? Si la cuisine se développe, c’est aussi parce qu’il y a des techniques nouvelles, au XIXe apparaît le fourneau qui permet de cuire la pâtisserie notamment, sinon c’était le potager. Ce type de cuisine permet des températures différentes et donc des cuissons différentes. Et puis bien sûr des cuissons au court-bouillon encore très utilisées aujourd’hui avec des récipients typiques, pour des poissons dit nobles, comme la turbotière. Pour les huîtres, l’approvisionnement à Paris est assez rapide avec l’apparition du train. Mais la mode des huîtres était déjà présente auparavant, tout simplement parce qu’on pouvait les conserver, les transporter et les apprécier, les poissons plats comme la sole, le turbot, la barbue également. La coquille St Jacques ne fait jamais partie des plats gastronomiques elle ne peut pas être conservée, aujourd’hui c’est davantage possible.

 

 

 

On a fait ici un garde-manger de rêve, c’est la particularité de l’exposition de valoriser les apports de la Normandie, c’est une région à mon sens qui a le plus à apporter sur une table de fête. On voit que la Normandie est très riche, forcément l’élevage de bœufs, le beurre, le lait, les jambons du Cotentin, le cidre, volailles, canards, tous les produits de la pêche mais là nous sommes dans les produits, pas encore dans les recettes.

Les recettes viennent après. Quand on pense à la Normandie, on pense à quoi : au lait donc beurre, crème, fromage, la première chose c’est le beurre, c’est ce qui va donner les lettres de noblesse à l’agriculture normande et la crème apparaît beaucoup plus tard dans les recettes. Les premières recettes à la normande de Carême, ce sont des poissons cuisinés avec du fumet de poissons, avec des moules et des crevettes, une sauce blanche mais pas de crème. On va commencer à en mettre et à l’associer à la Normandie seulement quand les moyens de transport permettront d’acheminer la crème vers Paris sans la transformer car pour la conserver, on la transformait en beurre.

Le petit suisse est normand, il a été inventé ici. Tous ces produits phares de la Normandie sont souvent issus des rencontres entre des hommes d’affaires de milieu paysan mais qui ont l’intelligence de faire des innovations et de s’associer avec d’autres personnes, ils ont la fibre du commerce.

C’est le cas de Charles Gervais, un homme d’affaires qui s’associe avec une fermière du Pays de Bray. Cela s’appelle le petit suisse car le vacher est suisse et c’est lui qui avait l’habitude en Suisse de mettre de la crème dans le fromage frais d’où le petit suisse. Seuls les fromages frais avaient leurs lettres de noblesse, peut-être aussi les fromages à pâte dure comme le parmesan mais il a fallu attendre les évolutions du transport et aussi l’arrivée de Pasteur pour avoir sur les tables « les fromages qui puent ».

Le camembert est le petit fils du brie, on raconte souvent que cela a été inventé par Marie Harel dans une ferme… Ça c’est l’histoire. Ce qui est vrai en revanche, c’est Cyrille Paynel (petit-fils de Marie Harel) qui a rendu célèbre le camembert en le commercialisant. C’est peut-être à lui que l’on doit le camembert comme étant un mythe national. On peut voir toutes les médailles récupérées par monsieur Paynel, il était du Mesnil Mauger, il a eu plusieurs fermes mais il a commencé à s’implanter au Mesnil Mauger, c’est là qu’il a fait la fortune du camembert. Il avait mis plein de choses en place dans son exploitation, il a fait des essais dans son verger, c’était vraiment un homme inventif, un capitaine d’industrie laitière et agricole en quelque sorte. C’est lui qui a popularisé le camembert en l’exportant massivement, alors évidemment on a une collection d’étiquettes, on a sorti les plus drôles.

Donc beurre, fromage, bœuf, le bœuf met du temps à être réputé pour son goût, il était utilisé dans les champs comme force de traction et puis ce n’est pas simple quand on tue un bœuf, il faut pouvoir conserver sa viande. Un  cochon c’est plus facile. La viande de boucherie commence vraiment à apparaître avec la hausse de la démographie à Paris et dans les centres urbains, il faut bien s’approvisionner en viande. La Normandie devient une région de forte production de bœufs et aussi quelques spécialités de charcuterie, on ne peut pas faire l’impasse sur l’andouille, on a mis des ustensiles qui servent à sa fabrication.

Et puis les tripes, c’est l’exemple d’un plat populaire qui a pris sa réputation à Paris avec le commerce des bœufs, grâce à un tripier normand Alexandre Pharamond,installé à Paris près des Halles, un caennais qui a ouvert son commerce de tripes. On mange des abats un peu partout, ce n’est pas juste normand, il y a des recettes de tripes un peu partout, dans beaucoup de pays, les tripes à la florentine, à la vénitienne. On mange des abats même si ce n’est pas forcément valorisé dans la hiérarchie alimentaire mais c’est un plat chaud qu’on mangeait au petit déjeuner, c’est d’ailleurs encore un plat que l’on mange aujourd’hui à 9h du matin avec un verre de vin blanc. Ce monsieur Pharamond les a ensuite conditionnées en boites de conserves et a fait leur renommée. C’est comme le canard au sang qui est la spécialité du restaurant de la Tour d’Argent à Paris, ce tableau est dans leur salle, c’est Frédéric Delair que l’on voit sur le tableau, il est maître d’hôtel et il est le premier à avoir codifié donc écrit la recette du canard au sang, canard au sang qui est tué sans être vidé de son sang, il est cuit et ensuite découpé et la carcasse est broyée avec les abats dans une presse, on fait une sauce au sang et on le mange comme ça. C’est fait devant vous par le maître d’hôtel qui est très présent entre la cuisine et la salle. Il a un rôle à jouer dans la préparation des aliments, beaucoup moins aujourd’hui.

Je trouve que la Normandie est vraiment une région extraordinaire où il fait bon vivre.

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Par Maryline Bart, le .

Crédits

Denis Pierre Bergeret, Le cuisinier embarrassé, musée des Beaux-arts de Bernay

Guillaume Fouace, Nature morte au Homard et à la soupière, musée Thomas Henry à Cherbourg

Musée municipal de Vire, couverts individuels...

Musée de Normandie, J.Lepelletier, Spécialités de Beurres Supérieurs d’Isigny

Archives départementales du calvados, Biscuiterie-Caennaise, Desserts-Normands, R.Aubert

Archives départementales du Calvados, Menu normand d’un banquet offert au Président A.Lebrun en 1932

Bibliothèques-Médiathèques de Metz, Le livre de pâtisseries, E.Ronjat

Musée de Marseille, Grand théâtre nouveau : salle à manger, Pellerin etCie