La médiathèque Le Phénix de Colombelles, partenaire du Festival À Partir du Réel, recevait dans le cadre de son café littéraire Olivier Liron, l’auteur de Einstein, le sexe et moi. L’occasion de faire la connaissance de l’auteur du coup de cœur de Mélanie auquel nous adhérons totalement. Merci au Phénix de nous avoir fait partager cette jolie rencontre et ce beau moment de partage.
Olivier Liron est né en 1987, il étudie à l’école normale supérieure, réussit l’agrégation d’espagnol puis enseigne la littérature comparée à la Sorbonne avant de se consacrer à l’écriture et au théâtre, en parallèle il se forme au théâtre et à la danse. Il publie son premier roman Danse d’atomes d’or en 2016. Il est également auteur de pièces de théâtre et de scénarios pour le cinéma et y adapte son premier roman en 2017, son second roman parait en 2018 aux éditions Alma.
Tout au long de ce rendez-vous, Olivier Liron a alterné la lecture d’extraits de son roman, ses réflexions et terminé par un échange avec le public. Nous vous livrons quelques moments de cette belle matinée.
En préambule, Olivier Liron nous dit être ravi d’être reçu à Colombelles, fief de la madeleine et choisit de nous faire une lecture du chapitre IV de son livre.
Le plafond était fissuré et j’avais de l’eau qui me tombait sur le crâne ; ça faisait floc, floc. Il y avait des bruits qui venaient du plateau, une odeur de brûlé, et la lumière agressive et vénéneuse des spots. J’allais entrer sur le plateau d’un moment à l’autre et je révisais dans ma tête les dates de naissance des cyclistes célèbres. Gino Bartali : 1914. Jean Robic : 1921. Louison Bobet : 1925, né à Saint-Méen-le-Grand en Ile et Vilaine. Et Julien Lepers a surgi de nulle part, et s’est approché de moi. Je ne l’avais pas vu arriver. Julien Lepers a un physique formidable, une tête très grande en proportion de son corps, un crâne énorme posé sur un tronc courtaud et robuste. Comme un bonhomme de neige ou à la rigueur un brocoli. Julien Lepers est quelqu’un de très doux et aussi de très mélancolique. Je crois que c’est un homme qui pleure son idéal déchu devant la réalité sèche, misérable et désenchantée. Il n’arrive pas à faire le deuil du chanteur qu’il aurait voulu devenir, et c’est pour ça qu’il parle d’une façon aussi étonnante et musicale...
« Je me suis documenté sur Julien Lepers, il voulait être crooner et c’est pour cela qu’il est inimitable car lorsqu’il parle, il chante (une façon de parler extrêmement poétique), c’est une façon de passer d’un sujet à l’autre tel un poème contemporain.
Cette émission est le fil rouge du livre, je suis parti de ce jeu pour explorer comme une fable, et plonger le lecteur dans la tête du candidat. Pour les personnes qui y participent, c’est un sport de compétition.
Je l’ai fait aussi pour ma grand-mère. Elle est arrivée d‘Espagne en 50, a connu la guerre civile dans sa jeunesse et faisant partie du clan des perdants, elle a vécu dans la peur. Elle ramassait des champignons, travaillait dans une usine d’aluminium (fabriquait des couverts pour les riches) puis est venu en France avec son mari. Elle vit maintenant dans une résidence séniors mais est toujours restée un peu « une espagnole » (les résidents viennent la voir pour recoudre des boutons. Et un jour, ils ont vu son petit fils passer à Questions pour un champion et Pépita est devenue la grand-mère du champion.
Mon défi personnel est aussi lié à mon histoire. L’ambition de ce livre était de faire un auto portrait ludique sur un fond de questions plus profondes. Comment faire pour écrire sur une émission de télé, il est nécessaire d’installer un va et vient entre un espace fermé, le candidat dans sa concentration et le reste qui emmène très loin dans les voyages. »
Extrait du chapitre I : Je suis autiste Asperger. Ce n’est pas une maladie, je vous rassure. C’est une différence. je préfère réaliser des activités seul plutôt qu’avec d’autres personnes, j’aime faire les choses de la même manière. Je prépare toujours les croque-monsieur avec le même Leerdammer. Je suis fréquemment si absorbé par une chose que je perd tout le reste de vue. Mon attention est souvent attirée par des bruits discrets que les autres ne perçoivent pas. Je suis attentif aux numéros de plaques d’immatriculation ou à tous types d’informations de ce genre…
Quelques réflexions avec le public
« C’est une forme d’autisme avec des capacités intellectuelles et un problème de socialisation, un rapport sensible et sensoriel au monde, j’ai passé dix ans à étudier la poésie qui est aussi un rapport différent au monde. On est tous stigmatisé à un moment donné, traiter quelqu’un d’autiste est une autre forme de racisme de la pensée.
L’école fonctionne sur un modèle particulier, avec un objectif, l’élève doit apporter quelque chose à l’école, c’est un élève avant d’être un enfant. Il faut mettre la société au service de l’école et non pas l’école au service de la société dit Gaston Bachelard.
Si on s’appuyait sur ce que chaque ado porte en lui, on pourrait tirer les gens vers le haut, si on n’est pas dans le moule, on est nul.
Roland Barthes disait Le fascisme ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire.
Il y a une évolution car il y a dix ou vingt ans, on ne parlait pas d’autisme. On commence à faire en sorte que les enfants s’épanouissent, on commence à en parler. La différence n’est pas une bonne ou une mauvaise chose.
Beaucoup de personnes sont déconsidérés au nom de la norme.
Chacun trouve sa voie, j’écris depuis que je suis petit, la danse m’a permis de m’accepter et l’art m’a sauvé la vie au sens propre comme au sens figuré. Il permet de tisser des liens (livres, la peinture …),l’art réveille des ressources. Et dans le jeu, on se retrouve. Les expériences les plus douloureuses développent un instinct de survie très fort. Dans un défi, il y a toujours quelque chose d’intime.
Écrire permet de partager son expérience, on commence à écrire pour soi mais on écrit vraiment pour partager. On ne peut pas changer le monde mais on peut changer le regard que l’on pose dessus.
Le livre libère une parole et rencontrer les lecteurs est bouleversant, c’est très émouvant. Cela donne une force de vie et d’espoir, d’amour et souvent cela permet d’aller de l’avant.
On parle d’ignorance dans notre société en crise, ce n’est pas tant de l’ignorance que du mépris.
Vang Gogh a écrit dans une lettre à son frère :
Et les hommes sont souvent dans l’impossibilité de rien faire, prisonniers dans je ne sais quelle cage horrible, très horrible. On ne saurait toujours dire ce que c’est qui enferme, ce qui mure, ce qui semble enterrer, mais on sent pourtant je ne sais quelles barres, quelles grilles, des murs. Tout cela est-ce imaginaire ; fantaisie ? Je ne le pense pas. Sais-tu ce qui fait disparaitre la prison, c’est toute affection profonde, sérieuse. Être amis, être frères, aimer cela ouvre la prison par puissance souveraine, par charme très puissant. Mais celui qui n’a pas cela demeure dans la mort.