Fabian Ferrari

Un parcours inhabituel

Fabien Ferrari

Convaincue par la performance de Fabian Ferrari dans la pièce « Europe Connexion » d’après le texte de Alexandra Badea, j’avais hâte de rencontrer le comédien qui porte très haut ce texte saisissant et nécessaire. Fabian a très gentiment accepté de me parler de la pièce, de lui-même et de son parcours inaccoutumé.

J’avais joué « Si la matière grise était rose, personne n’aurait plus d’idées noires » dans un théâtre à Sion en Suisse, et puis un jour la propriétaire du théâtre, qui est également metteure en scène, m’appelle et me dit : « Je suis tombée sur un texte d’Alexandra Badea, est-ce que tu connais ? » Je lui réponds que non, je ne connais pas cette auteure, du tout.

« Elle a gagné le grand prix de la littérature dramatique du CNT, le texte s’appelle : Je te regarde. C’est quatre personnages, l’histoire décrit la manière dont on s’observe aujourd’hui via les réseaux sociaux via les caméras de surveillance, la manière dont on arrive à entrer méchamment dans l’intimité des gens. »

Je lis le texte et je me dis vraiment c’est extraordinaire ce type d’écriture. Elle est cash, tout est direct, elle ne prend pas beaucoup de contours. Et la directrice me propose de me familiariser avec l’écriture de l’auteure et m’envoie un autre texte : « Europe Connexion ». Je descendais à Nîmes pour jouer la « Matière Grise », j’étais dans le tgv et je lis « Europe Connexion » d’un trait, cela se lit en une heure, une heure dix. Et là, je lui envoie un texto pour lui dire que c’est de la bombe ! Car l’ancien banquier que je suis, quand je lis ça !!!

« Oui c’est un texte que je vais faire interpréter, c’est écrit pour un garçon mais on peut très bien faire un contre sexe, cela peut très bien être joué par une femme. »

Je lui dis alors de foncer mais que je lui piquerai un jour, je lui laisse un ou deux ans mais un jour je vais le reprendre.

Elle me rappelle trois jours plus tard pour me proposer de me mettre en scène. On ne se connaissait pas du tout. On s’est vu et j’ai appris le texte, j’ai mis deux mois et demi à l’apprendre parce que c’est tout de même un pavé. Pour Avignon, je l’ai coupé un peu, il dure une heure quarante dans sa version longue. On ne l’a joué que cinq fois en Suisse et ensuite ma metteure en scène m’a dit qu’elle ne pensait pas que c’était pour Avignon, elle n’est pas fan d’Avignon, elle trouve que c’est un grand casino, que cela dénature le théâtre … Je lui ai dit que moi j’avais bien envie de tenter. Qu’est-ce qu’on risque ? Quelques milliers d’euros, bien sûr c’est toujours un investissement lourd mais je me suis dit : si je ne le fais pas, j’aurai des regrets. Donc elle m’a dit ok essayons et je crois qu’elle a très bien fait. Voilà le début de l’histoire.

Lire l’article Europe Connexion

 

Tu as eu l’occasion de rencontrer l’auteure ?

Oui nous l’avons invité, elle est venue de Paris, c’est une roumaine Alexandra Badea, souvent on lui demande pourquoi elle n’écrit pas en roumain et elle répond que ses professeurs lui ont toujours dit qu’elle n’arrivait ni à lire ni à s’exprimer. Du coup elle est devenue comédienne, dramaturge, metteure en scène et auteure, et là on lui propose un triptyque sur trois ans, chaque année un nouveau volet. Elle fait partie des auteurs qui vont faire parler d’eux dans les années à venir.

J’adore ce livre, c’est de la psycho à deux balles mais cela me fait beaucoup de bien par rapport à tout mon passé et cela me conforte dans cette idée que j’ai bien fait de quitter le système. Cela donne un peu plus de sens à mon action. J’aime bien divertir au théâtre, j’aime bien quand les gens sortent heureux et j’aime bien aussi parfois arriver à une réflexion même si je me rends compte que c’est une goutte d’eau, on ne va pas changer le monde.

Aujourd’hui nous sommes dans une époque où on commence à culpabiliser de ce qu’on mange, de ce qu’on boit, on ne sait plus. On mange une fraise, on se demande si quelqu’un a été payé un euro cinquante de la journée pour la cueillir, s’il vit dans une cahutte…  On a vraiment poussé très très loin le capitalisme. De tout temps, on dit que le monde va mal mais là, on sent vraiment qu’on est arrivé au maximum de quelque chose. Quand on éventre des baleines qui sont bourrées de plastique, vraiment !!! Cela devient lourd d’ouvrir un journal et de regarder les actualités. Et quand on voit que la motivation ultime c’est encore et toujours l’argent, je trouve intéressant justement de voir dans « Europe Connexion » ce que cela peut détruire et moi dans ma carrière de banquier, j’ai vu des gens se détruire par l’argent.

Alors que faire de ce texte maintenant ? Évidemment on est dans ce système du théâtre, on essaie de faire venir des programmateurs pour le diffuser un maximum et là, il y en a eu beaucoup qui sont venus. On tirera les conclusions à la fin du festival mais il y a déjà deux théâtres parisiens qui m’ont fait une proposition pour beaucoup de dates et puis après j’ai eu des gens de Corrèze, d’Alsace, du Nord, du Sud Est, de l’Ouest, également des agglomérations agricoles qui sont sensibilisées par le sujet. Je pense que je reviendrai aussi avec ce spectacle à Avignon 2018. À Paris peut-être sur le printemps, pour l’instant on m’a juste témoigné de l’intérêt mais on n’a rien signé encore.

 

Alors qui est Fabien Ferrari ?

Moi malgré les apparences, je suis un jeune comédien, j’ai travaillé dans l’humanitaire et la finance jusqu’à l’âge de quarante trois ans. Au début de mes jeunes années, j’ai fait de la gestion financière dans des ONG notamment pour le Comité international de la Croix Rouge, j’ai vécu en Afrique, au Proche et au Moyen Orient, j’ai fini par le conflit Yougoslave et je suis rentré à Genève.

Je suis Suisse et Belge, ça arrive… Suisse par mon père et Belge par ma mère, je suis né à Lausanne, j’ai grandi et fait toutes mes études là-bas et puis ensuite, j’ai commencé à travailler dans la finance comme courtier, agent de change et j’ai commencé à faire de la gestion financière pour différentes banques. J’ai travaillé dans une banque spécialisé dans le commerce du diamant pendant quelques années, j’ai beaucoup voyagé en Israël, en Afrique du Sud, en Inde, tous les pays diamantaires, j’étais basé en Belgique à Anvers puis je suis allé travailler pour une banque anglaise et j’ai repris la direction du Crédit suisse à Bâle, j’y suis resté sept à huit ans, ensuite je suis allé à Genève.

Ensuite j’ai rechangé de banque pour différentes raisons et là j’ai commencé à réfléchir sur mon action, sur ce que je faisais, est ce que cela me correspondait vraiment encore et toujours de faire de l’argent avec de l’argent, de travailler uniquement pour la satisfaction de l’actionnaire, d’engager des gens quand tout allait bien, de m’en séparer quand la direction décidait que ça allait moins bien. J’ai suivi des séminaires aux Etats Unis, en Asie donnés par des grands consultants pendant lesquels on décortique ta personnalité dans un camembert et on te dit attention tu as trop de rouge, tu n’as pas assez de bleu, regarde tes chiffres sont comme ci, sont comme ça.

Je me suis remis au théâtre à ce moment-là, c’était ma passion de jeunesse. Je n’ai pas embrasser cette profession quand j’étais jeune car on m’a dit : ne fais pas ça … L’histoire classique et à partir de quarante ans, cela a de nouveau commencé à germer. J’ai regardé tous ces camemberts et mon passé, je faisais partie du comité de direction de la banque et je suis allé leur dire : « Voilà je quitte, divorçons à l’amiable, je vais allé faire du théâtre à Paris. » Ils m’ont regardé un peu comme une poule qui a trouvé un couteau et puis cela a pris un an et demi avant de pouvoir partir, de faire le tour des clients …

Et ensuite, je suis monté à Paris, j’ai suivi les cours de théâtre à l’école Claude Mathieu dans le XVIIIème, trois ans et demi de pur bonheur, de respiration totale, je me retrouvais entouré de jeunes, j’avais quarante trois ans et il m’a appris les bases du métier. Peut-être est-ce grâce à mon activité de banquier, j’ai commencé à ouvrir des portes très rapidement. J’ai compris que le téléphone ne sonnerait pas si je n’allais pas solliciter.

J’ai commencé après à faire mes propres spectacles et cela a commencé comme ça, bien sûr c’est long et il n’y a pas de règles dans ce métier du théâtre. Contacter des programmateurs c’est extrêmement difficile, c’est long, compliqué, ardu et tout d’un coup vous en avez un qui répond et vous en avez sept qui suivent, on ne sait pas pourquoi non plus. C’est le prix de la liberté. Et quelque part heureusement que cela a un prix car sinon tout le monde ferait la même chose.

J’ai idéalisé un peu le métier, je l’avoue franchement et je pense que c’est bien quand on a envie de suivre un rêve, parce que le système est extrêmement envahissant et quand on est dedans, on pense qu’on ne peut pas s’en sortir. C’est ce qui est décrit aussi beaucoup dans « Europe Connexion ». Et le jour où on en sort, on est complètement déstabilisé. Quand je suis arrivé à Paris, si je me réveillais à 8h15 du matin parce que mes cours commençaient à 9h30, je me disais mais Fabian qu’est ce que tu fous, tu dors jusqu’à 8h15 mais c’est pas possible, tu deviens paresseux mon gars. J’ai complètement réorganisé ma vie, financièrement aussi bien sûr car on n’a pas le même budget. Et je n’ai aucun regret, le seul peut-être c’est de ne pas l’avoir fait plus tôt, parce ce que je n’avais pas le courage ou la force de le faire.

 

Et puis c’est aussi découvrir de jolis textes.

Oui, là je suis vraiment content d’être tombé sur ce texte,  il y a aussi d’autres textes que j’ai envie de jouer, je m’attaquerais bien à « Richard III », je ferais bien « Tartuffe » aussi, j’hésite à faire une adaptation théâtrale du « Baiser de la femme araignée », j’ai bien envie de jouer « Le journal d’un curé de campagne ». J’aime bien les solos et j’essaie de ne pas me laisser influencer, par exemple pour « Le journal d’un curé de campagne », c’est écrit pour quelqu’un de beaucoup plus jeune que moi. C’est comme « Europe Connexion », c’est écrit pour quelqu’un de plus jeune et finalement cela peut se faire. Et j’aime beaucoup l’écriture contemporaine Dennis Kelly, Lukas Bärfuss, Remy Devo, Fabrice Melkiot, j’ai joué « Autour de ma pierre , il ne fera pas nuit », je jouais le rôle du père travesti. J’ai beaucoup aimé ce rôle, des vrais personnages avec des vraies cassures, j’adore ça, c’est la chance de ce métier.

 

Tu as une compagnie ?

Après l’école Claude Mathieu, déjà je me suis marié et nous avons décidé de nous installer à Lausanne. On a vécu longtemps entre Paris et Lausanne, on a hésité et Philippe n’a pas trouvé ce qu’il cherchait vraiment, alors je suis rentré vivre en Suisse . Donc j’ai créé ma compagnie là-bas, la  Compagnie Renée Vaslap. C’est le même système qu’en France plus ou moins, c’est un peu plus simple parce qu’il n’y a pas de licence d’entrepreneur de spectacles, il n’y a pas de fiscalité pour les compagnies de théâtre sauf quand on commence à atteindre un certain chiffre d’affaire mais il faut être une star mondiale pour y arriver. J’ai fait ça et j’ai monté un petit cours de théâtre aussi, un atelier pour adultes.

Et c’est une belle surprise, j’adore faire ça, c’est un bel échange. Je n’ai pas beaucoup d’élèves, j’en ai une douzaine le lundi, dix le mardi, une vingtaine en gros. Parce que les lundis et mardis, il ne se passe pas grand-chose dans les théâtres alors je reste à Lausanne et je donne mon cours. J’ai la chance de le faire dans un très beau théâtre, un des plus grands théâtres de Lausanne, on peut le faire sur la grande scène, il y a un spectacle par an, le spectacle de fin d’année. Nous avons rempli la salle de trois cent vingt places l’an dernier, les élèves étaient contents, ils ont tous rempilé. C’était la première année.

 

C’est quel théâtre à Lausanne ?

L’Espace Culturel des Terreaux où « Europe Connexion » est également programmé, le premier théâtre de Suisse qui l’a pris après le théâtre de Sion où on l’a monté. J’ai donc ma compagnie là-bas.

Je viens à Avignon depuis quatre ans maintenant, je suis venu la première année avec « Si la matière grise … » et cela s’est rempli très vite, c’est un spectacle qui est complet un ou deux jours à l’avance. Cette année, je n’ai fait que 50 affiches et je n’ai même pas distribué 500 flyers. Mais je suis assez content de l’arrêter, je trouve que c’est assez sain de se dire voilà j’arrête au bout de quatre ans.

Et pour « Audrey Hepburn », le troisième spectacle cette année, cela s’est passé un peu différemment. En fait, on avait monté avec l’Espace Culturel des Terreaux une adaptation de « Zorba le grec » l’année dernière et il se trouve que l’on n’a pas eu les droits pour le jouer en 2017, on les récupère en 2018. 2017 correspondait aux cent ans de la naissance de l’auteur et une grande compagnie française voulait faire un spectacle musical style « Mogador » ou « Bercy » sur « Zorba le grec », cela ne s’est pas fait finalement mais ils ont quand même bloqué l’exclusivité des droits.

Le metteur en scène nous a dit, on garde la même équipe (c’est une très bonne équipe, on s’entend vraiment très bien) et on fait quelque chose sur la vie d’Audrey Hepburn, parce que la comédienne déjà lui ressemble beaucoup. On a fait ça et il y a déjà une vingtaine de dates vendues en Suisse. Avignon c’est extraordinaire pour ça, c’est que l’on a la chance de jouer une pièce vingt fois de suite donc artistiquement parlant le spectacle grandit. Même s’il y a des gens qui ont de la peine et de la difficulté au niveau du public, en dehors des considérations financières car pour certaines compagnies c’est très compliqué, au moins artistiquement parlant, si le spectacle est acheté, à la rentrée on est prêt.

Lire l’article Quand je pense à Audrey Hepburn

 

Voilà, donc pour l’instant j’ai envie de continuer à faire du théâtre. Claude Mathieu, lorsque je suis sorti de l’école, m’a dit : en moyenne générale il faut au moins dix ans pour commencer à se sentir un peu à l’aise et commencer à savoir comment on peut jouer. Je suis sorti en 2012 de chez Claude Mathieu, nous sommes en 2017, cinq ans je suis à la moitié.

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Par Maryline Bart, le .

Crédits

Daniel Stucki